Nicolas Sarkozy a été incarcéré à la prison de la Santé le 21 octobre, à l’isolement pour sa sauvegarde, dans un quartier spécial. Ses avocats ont interjeté appel de cette privation de liberté et la chambre des appels correctionnels devra statuer dans un délai maximal de deux mois.
J’espère que l’ancien président de la République sera libéré le plus vite possible car je n’ai pas éprouvé la moindre « joie mauvaise » devant cet enfermement. Au contraire, cette exécution provisoire inutile a complètement détourné l’attention de ce que la décision elle-même avait de pertinent et de solidement argumenté. Après que ce jugement a été frappé d’appel par le Parquet national financier et la défense, c’est uniquement la polémique sur l’emprisonnement qui a occupé le débat public, éclipsant toute discussion de fond.
Mon impression initiale, face à ceux qui contestent une décision en disant qu’elle n’aurait pas été aussi sévère envers des délinquants ordinaires, demeure : je crois qu’ils se trompent profondément. Ce n’est pas en comparant les puissants aux délinquants ordinaires, aux voyous qu’il faut juger ce type de condamnation.
Au contraire, il est normal que les personnes qui ont du pouvoir ou des privilèges soient punies plus sévèrement lorsqu’elles sont coupables, car elles ont moins d’excuses sociales et moins de circonstances atténuantes à faire valoir que les autres.
C’est en raison de cette conviction que je crains le pire, demain, sur le plan judiciaire, avec ce que j’ai nommé « le maelström Sarkozy ». Je suis à peu près persuadé que dans les prochains mois, les prévenus ou les accusés se serviront de ce bouleversement et de cette stupéfiante disparité dans l’équité pour en faire, grâce à leurs avocats, au moins une part de leur argumentation.
En effet, on constate que tout ce qui se déroule depuis le jugement du 25 septembre dépasse l’entendement, la critique judiciaire légitime et la mesure démocratique. Même une fois admis le caractère heureusement exceptionnel de la grave mise en cause d’un ancien président de la République, qui n’en était pas à son coup d’essai…
En effet, l’expression paroxystique de cette incroyable inégalité judiciaire, politique et médiatique, au bénéfice exclusif de Nicolas Sarkozy, va probablement s’enkyster dans la tête des citoyens comme un malaise démocratique insurmontable et, pour les transgresseurs à venir, être exploitée telle une indécente opportunité.

Je n’ai pas fait le compte de tout ce qui a été dit et écrit sur la condamnation de NS par ses soutiens, sur un mode totalement décalé et périphérique, sans le moindre lien avec le problème de justice essentiel. Pour ma part, et nous sommes nombreux à éprouver ce sentiment, je n’ai jamais douté du courage de NS à Neuilly-sur-Seine, de son amour de la France, du fait qu’en certaines circonstances il a été un grand président, de l’affection de ses enfants pour lui, de l’amour et de l’admiration de son épouse à son égard, de sa personnalité hors du commun, pour le meilleur comme pour le pire. Mais ce ne sont pas les données prioritaires qui vont mobiliser demain la cour d’appel. Est-il coupable ou non des quatre infractions que le Parquet national financier lui a reprochées et dont trois sur quatre ont été écartées par les premiers juges ?
Le pire auquel je fais allusion n’est pas mince, car il se rapporte à un passé judiciaire conséquent.
On peut considérer que la différence absolue de traitement ayant favorisé NS, sur divers points, est normale ou au contraire choquante sur le plan judiciaire comme dans le registre républicain. Faut-il admirer la constance dans l’amitié de Gérald Darmanin, qui lui rendra visite, et dont on peut admettre qu’en sa qualité de garde des Sceaux il soit attentif aux exigences de sécurité pour ce haut personnage détenu ?
En revanche, je ne parviens pas à comprendre la bienveillance du président le recevant durant une heure et prenant la précaution de nous affirmer, comme si on allait le croire, que le fond du dossier n’avait pas été abordé… À quel titre donner une telle prime d’honorabilité à quelqu’un qui, coupable ou non coupable, aurait dû inspirer plutôt une forme de distance en cette période ? Ou faut-il admettre cette perversion française qui ne peut se défaire du respect pour les importants même s’ils ont failli ?
La manifestation de solidarité à l’initiative des enfants, le 21 octobre, a été inspirée par le coeur et qui pourrait la discuter ? Aux côtés des nombreux policiers et journalistes , une centaine de vrais fidèles…
Nous n’avons pas eu à proprement parler une justice de classe mais nous avons retrouvé une justice politique comme on croyait l’avoir perdue : traiter les politiques soupçonnés ou condamnés comme si la justice ne comptait pas mais que l’inégalité était tout.
La morale médiatique a été inexistante qui jamais n’a cherché à restaurer, dans ces outrances et ces apologies, un équilibre, une équité démocratique.
Après ce maelström, demain on entendra, j’en suis sûr, d’étranges plaidoiries provocatrices devant toutes les juridictions.
Il est très décevant que la question de l’incarcération de NS, redevenu présumé innocent grâce à l’appel, ait survolté les médias au détriment du fond de la décision de justice. Vous avez qualifié celle-ci de remarquable. En quoi l’est-elle ?
Vous écrivez « Est-il coupable ou non des quatre infractions que le Parquet national financier lui a reprochées et dont trois sur quatre ont été écartées par les premiers juges ? » L’appel ne portera-t-il pas seulement sur le chef d’association de malfaiteurs ?
Au point où est arrivé notre beau pays, faut-il s’indigner ou s’étonner de l’incarcération de l’ancien Président ?
Oui, et je pense que cette décision laissera une tache indélébile sur la réputation de la magistrature, une tache qui va rendre encore plus difficile de respecter ses membres.
Comme Tipaza, je n’accorde cependant aucun crédit à la funeste politique de Sarkozy pendant son mandat. Il a réussi en effet à être un fossoyeur de la droite à tel point que je ne comprends pas qu’il ait encore quelques supporters dans ce camp politique !
Mais il convient de disjoindre le fait judiciaire du fait politique et pour rester sur le terrain de l’arrêt dont j’ai lu les 380 pages, soit l’intime conviction des juges n’emporte pas l’adhésion du lecteur, soit elle parvient à développer un argumentaire tellement grave pour NS que ce n’est pas cinq ans qu’il mérite mais plutôt trente ans car pactiser avec le criminel libyen (Senoussi) qui a fomenté l’attentat contre le vol UTA qui tua des dizaines de Français (entre autres) mérite une punition autrement sévère que celle qui lui a été infligée.
Attendons la suite qui promet d’être palpitante !
Cher Philippe,
Le débat auquel vous avez participé dans L’Heure des pros 2, le 20 octobre, était d’un niveau consternant. Pascal Praud, fidèle à lui-même, s’est montré à la fois péremptoire et fuyant, naviguant sans cesse entre la question de l’exécution provisoire et le fond du jugement.
Seul Henri Guaino a su élever la discussion, en critiquant l’ingérence des juges dans la raison d’État, qu’il réserve au Prince, c’est-à-dire à l’exécutif. Machiavel contre Kant ! Malheureusement, le format de l’émission et la médiocrité des autres intervenants ont empêché d’explorer ce dilemme. J’aimerais vous voir débattre en tête-à-tête avec votre ami Henri Guaino sur une autre chaîne, pour un échange sur ce sujet.
Que les médias accordent une attention considérable à l’incarcération de Nicolas Sarkozy, cela relève de l’évidence. Monsieur Sarkozy n’est pas un justiciable ordinaire. Cette couverture médiatique, loin d’être excessive, correspond à la stature de l’homme concerné.
Que l’affaire se soit transformée en spectacle quasi théâtral demeure toutefois regrettable. Certains tentent de présenter cette condamnation comme injustifiée, une charge imméritée. Cette posture nous heurte profondément. Car cette charge, il l’a amplement méritée – non seulement à travers les 380 pages accablantes du jugement, mais également au regard de ses nombreuses autres mises en examen.
Lorsqu’on est lourdement condamné pour ses actes et son passé, on peut toujours clamer son innocence. « Ça ne mange pas de pain », comme on dit. C’est certes un peu dérisoire au vu des circonstances et de l’accumulation des charges. Mais là où la situation devient véritablement gênante, voire scandaleuse, c’est lorsqu’un ancien président de la République crie à l’injustice et proclame son innocence – ce qui revient, formulé plus clairement, à mettre en cause la culpabilité même de la justice de son propre pays.
Il aurait pu, à la rigueur, se plaindre de la sévérité du jugement sans remettre en question la justice elle-même. Il aurait alors paru seulement un peu moins ridicule, d’autant que c’est précisément grâce à ses propres déclarations et demandes répétées que la justice s’est montrée plus intransigeante. Mais impliquer la France – et donc tous les Français – dans sa misérable défense d’une prétendue innocence… Même Marine Le Pen n’aurait pas osé. D’ailleurs, elle ne l’a pas fait.
Est-il responsable du cirque médiatique auquel nous avons assisté ? Non, bien sûr. Aurait-il pu refuser ce spectacle et entrer en prison comme tout condamné qui le mérite ? Oui, assurément. Mais il a choisi de laisser faire, acceptant même que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, garde-chiourme de circonstance, vienne vérifier personnellement son incarcération. Ce qui suppose, assez paradoxalement, que l’administration pénitentiaire ne ferait pas correctement son travail en temps normal, et qu’on ne la contrôlerait que lorsqu’il s’agit de Monsieur Sarkozy.
Détail amusant : on en fait beaucoup pour ce qui s’apparente à un stage de citoyenneté – quelques semaines d’incarcération tout au plus sous les projecteurs médiatiques, et non les cinq ans prononcés. Ce bref séjour carcéral fera certainement du bien à Monsieur Sarkozy, et un bien immense à notre démocratie. Au point que quasiment aucun homme politique ne s’est risqué à dénoncer une prétendue injustice. Au point même que Donald Trump, pourtant si prompt à commenter, n’a émis aucune déclaration, sentant le boulet passer dangereusement près de sa deuxième oreille.
Il n’y a certes pas à se réjouir qu’un homme soit emprisonné – personne ne le demande. Mais on pourrait au moins se satisfaire que la justice ait suivi son cours dans un État démocratique. En l’occurrence, je trouve regrettable qu’un ancien avocat général déplore que Monsieur Sarkozy ne purge pas l’intégralité de sa peine.
Qu’on le veuille ou non, les peines dans notre pays sont conçues pour être appliquées, non pour être contournées.
Nicolas Baverez a fait un excellent papier dans Le Figaro, analysant soigneusement et citant les extraits du jugement en les commentant.
J’en reproduis quelques lignes, qui me paraissent traduire exactement le sentiment de beaucoup, y compris celui des anti-Sarkozy farouches dont je fais partie.
À l’évidence, l’abus de pouvoir du juge ne se limite pas à l’emprisonnement immédiat, il est bien plus profond, il traduit la volonté politique de « tuer » politiquement, socialement et au regard de l’Histoire un président dont les positions politiques dérangent une certaine caste qui joue avec cynisme de son pouvoir.
Extrait du jugement :
Sur la politique extérieure de la France et pacte de corruption
Page 340 : « Il résulte de ce qui précède que tant la relance de la coopération diplomatique avec la Libye que la visite de Mouammar Kadhafi en France ne paraissent pas après 2007 d’une nature et d’une intensité différente de ce qui s’est pratiqué dans d’autres pays, ou sous le quinquennat de Jacques Chirac. Elles semblent s’inscrire dans un contexte international favorable à ce pays et dans la continuité de ce qui avait été déjà entrepris. Le simple engagement de s’inscrire dans cette continuité est néanmoins susceptible de constituer un élément du pacte corruptif. »
Le tribunal, en violation du principe de séparation des pouvoirs et en contradiction avec sa propre décision reconnaissant l’immunité attachée à la fonction de président de la République, juge de la politique étrangère de la France. Contre toute logique, il considère que la continuité de la politique étrangère de la France entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy et son alignement sur celle du reste de la communauté internationale sont des éléments à charge en faveur de l’existence d’un projet de pacte de corruption.
Sur la preuve du délit d’association de malfaiteurs :
Page 358 : « Le soin particulier que Claude Guéant et Brice Hortefeux ont mis à présenter Nicolas Sarkozy comme étant étranger à ce processus corrobore au contraire le fait qu’il en était parfaitement informé. »
Le fait de nier une accusation vaut preuve de la culpabilité. Le raisonnement s’inscrit dans la lignée d’Andreï Vychinski, procureur général de l’Union soviétique durant les procès de Moscou de 1938, qui qualifiait le juge d’« ingénieur des esprits » et affirmait que « la justice n’est pas faite pour protéger l’individu contre l’État, mais pour protéger l’État contre l’individu ».
Voilà l’essentiel de ce remarquable article.
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https://www.lefigaro.fr/vox/politique/a-vous-de-juger-la-decision-de-justice-condamnant-nicolas-sarkozy-analysee-par-nicolas-baverez-20251020