Trop de tentations pour les avocats ?

Il n’y a pas lieu de s’en réjouir, et le magistrat honoraire que je suis le déplore plus que tout autre : depuis quelques années, la morale professionnelle des avocats est mise à mal et leur éthique personnelle fragilisée. Un certain nombre d’affaires, allant de transgressions minimes à des infractions graves, défrayent la chronique, même si je prends soin de préciser qu’elles ne sont pas encore définitivement jugées et que les mis en cause bénéficient, en pareil cas, de la présomption d’innocence (Le Parisien).

Ce qui m’intéresse, ce sont les raisons de ces dérives, qui ne concernent évidemment pas l’ensemble du barreau.

Je me revois projeté des années en arrière lorsque, ayant un temps caressé l’idée de devenir avocat, je l’écartai aussitôt pour un double motif : je craignais d’être soumis à trop de tentations de toutes sortes et je sentais que ma personnalité, bien que désireuse de liberté, aurait besoin d’une structure, d’un cadre que la magistrature m’offrirait.

La rigueur qui doit être celle, tout particulièrement, des avocats pénalistes – tant les occasions de fauter sont nombreuses dans ce domaine, compte tenu de la nature de la clientèle et des liens troubles qu’elle peut engendrer – est fondamentale. S’abandonner à la moindre entorse ouvre une brèche susceptible, à force, de conduire à un délitement et à un laxisme progressifs.

Me Pascal Garbarini, que j’ai soumis à la question, avait pointé, pour expliquer cette multiplication d’incidents professionnels, la suppression des cinq puis des trois années de stage obligatoire chez un avocat après la prestation de serment, avant de pouvoir s’installer, lesquelles permettaient auparavant à de nombreux jeunes avocats de se former et d’être attentifs aux mille risques susceptibles de résulter d’une pratique insuffisamment exigeante.

Pour avoir certains exemples dans la tête, je suis persuadé que le corporatisme du barreau est trop souvent un bouclier infranchissable et que les Conseils de l’Ordre n’ont que trop tendance à minimiser les problèmes qui leur sont soumis.

Cette accumulation, ces derniers temps, de griefs, de soupçons ou de scandales liés au comportement d’avocats de plus en plus nombreux n’est pas anodine. Je considère qu’on ne peut guère attendre d’un Conseil qui n’est pas irréprochable sur ce plan une rectitude intellectuelle et judiciaire dans le traitement du fond des débats et dans l’argumentation qu’il lui revient de développer.

Face à ces ombres qui ne cessent de s’amplifier, et sans pour autant encenser la magistrature en tout, j’ai tout de même envie de défendre celle-ci. Si elle peut connaître des dérèglements d’analyse et parfois rendre des jugements ou des arrêts discutables, elle semble toutefois à l’abri des corruptions vulgaires et des dépendances honteuses. Sa responsabilité pourrait être davantage engagée lorsque, de toute évidence, certains de ses actes ou décisions sont si aberrants qu’ils échappent au champ des voies de recours mais son éthique collective ou personnelle est quasiment irréprochable.

Pour schématiser, si le barreau doit résister aux tentations provenant principalement de l’extérieur, les magistrats ont pour devoir de battre en brèche celles qui, en eux-mêmes, pourraient miner leur indépendance et leur liberté.

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Voir les Commentaires (6)
  1. Michel Deluré

    C’est parce que l’on est homme avant d’être avocat, magistrat ou autre, et que l’homme est souvent faible, donc corruptible, qu’il peut si facilement céder à la tentation.

    Que l’homme, en raison des opportunités offertes par sa profession ou simplement par les circonstances, soit exposé à la tentation, et il s’en trouvera alors toujours certains qui y céderont, ne possédant pas en eux la rigueur morale leur intimant de résister, cette rigueur morale qui met aux prises avec soi-même et impose d’être juge de soi-même.

    Que certaines professions exposent plus que d’autres ceux qui les exercent à la tentation est indéniable, mais au bout du compte, c’est bien toujours à l’homme — avant même le professionnel qu’il incarne — qu’il appartient de décider s’il résiste ou s’il cède.

  2. « …le corporatisme du barreau est trop souvent un bouclier infranchissable … » (PB)

    Pourquoi du barreau ? Pourquoi cette limitation ?

    Petit rappel d’histoire :
    « La Révolution a supprimé les corporations par la loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, loi interdisant tout groupement professionnel, que ce soit de gens de métier, le “maître de guilde”, ou de leurs ouvriers et apprentis. Cette loi s’inscrit dans une volonté de s’affranchir des groupes de pression qu’étaient devenues les corporations et les guildes sous l’Ancien Régime, mais se concentre sur les associations d’ouvriers, interdisant de fait les syndicats ou autres revendications collectives.
    Cette loi fut précédée par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, promulguant la liberté d’entreprise et supprimant expressément les corporations au nom de la liberté du travail et de la libre concurrence. » (Wikipédia)

    Les corporations n’étant que la forme associative d’individus qui cherchent à se défendre, à protéger leurs intérêts ou leurs privilèges, explicites ou implicites, il était inévitable qu’elles réapparaissent sous la forme du corporatisme.
    Le suffixe « -isme » ne suffisant pas à leur donner une légitimité, le corporatisme a pris le nom de syndicalisme.
    Les corporations de l’Ancien Régime, qui défendaient les privilèges de certains, sont ainsi devenues le corporatisme ou le syndicalisme défendant les intérêts de certains autres, au nom des droits de l’homme… et des syndiqués.

    C’est ainsi que l’on peut voir des syndicats bloquer les transports pendant les fêtes de Noël, de Pâques ou de la Trinité, rendant la vie impossible au plus grand nombre pour l’intérêt du plus petit nombre.

    C’est ainsi que l’on peut voir des magistrats défendre mordicus leur « intouchabilité », qu’ils appellent indépendance de la justice, et en même temps réclamer et obtenir le droit de corporatisme, appelé syndicat.
    La nature humaine dans toute la générosité de l’être et de l’avoir : être inamovible et avoir des moyens de pression.

    C’est ainsi que l’on peut voir le corporatisme du barreau et de tellement d’autres…
    Je ne ferai pas la liste de toutes ces visions qui, s’ajoutant les unes aux autres, finissent par un blocage de la société ;
    le sublime étant qu’il existe des syndicats de retraités… j’adore ces oxymores sociétaux ! 😉

  3. Je ne suis pas sûr que l’une ou l’autre de ces professions mérite l’opprobre dont elles sont régulièrement affublées. Des avocats de truands, truands eux-mêmes, il doit bien en exister : la profession s’y prête parfois. Il y a d’ailleurs un bon film sur le sujet, avec Benoît Magimel qui se fait embringuer par un malfaiteur ; il y trouve d’abord son compte, financièrement parlant, mais finit par être totalement dépassé par ce qu’on lui demande.

    Compliqué d’être avocat. Maître Garbarini répond, pour lui, à une question que je me pose souvent : comment défendre une personne dont on désapprouve totalement les actes, et dont on est certain qu’elle les a commis ?

    Vous avez, en tant qu’avocat général, probablement dû faire face au dilemme inverse — vous en parlez parfois, me semble-t-il. Comment accabler une personne qui a commis des actes que l’on désapprouve profondément, tout en comprenant le chemin qui l’a conduite là, les circonstances de la commission de ce qui est répréhensible, et en protégeant au mieux la société ?

    Les juges font partie de cet univers ambigu — rien de péjoratif — où l’on soupèse, où l’on évalue, où l’on recherche la preuve, à travers d’autres acteurs, de la culpabilité ou de l’innocence. Les avis tranchés sont trop faciles.

    J’ai le souvenir d’un très proche, appelé à être juré en cour d’assises — l’un de mes rares adultes de référence, par ailleurs assez strict, voire dur dans l’esprit — qui, au sortir de cette expérience, m’a confié avoir changé sa vision de la justice. Il en avait retiré le sentiment que rendre la justice était une chose sensible, presque « douloureuse » parfois, loin des simplifications hâtives du simple citoyen.

  4. Robert Marchenoir

    « Pour avoir certains exemples dans la tête, je suis persuadé que le corporatisme du barreau est trop souvent un bouclier infranchissable et que les Conseils de l’Ordre n’ont que trop tendance à minimiser les problèmes qui leur sont soumis. » (PB)

    Le corporatisme, de façon générale, est un mal français. La complainte est fréquente de la « disparition des corps intermédiaires », gna-gna, sans que ceux-ci soient jamais nommés. Mais en réalité c’est l’inverse. Les syndicats et les ordres professionnels ne sont que trop puissants.

    Si seulement ils faisaient la police dans leurs rangs en obligeant leurs membres à respecter l’éthique ; mais dans les faits, c’est bien souvent l’inverse qui se passe.

    C’est flagrant chez l’Ordre des médecins, qui a condamné certains des siens pour avoir… fait connaître les bases de la science médicale, en rappelant que l’homéopathie était du charlatanisme, et en réclamant qu’elle soit, en pratique, interdite aux médecins. Ou bien en omettant de faire son travail jusqu’à ce qu’un vidéaste indépendant s’en charge à sa place. Celui-ci a dénoncé le charlatanisme bien connu d’un médecin hospitalier chef de service anti-douleur – après quoi seulement, la direction de l’hôpital a consenti à le suspendre. Ou encore en tardant infiniment à sanctionner Didier Raoult, et à le faire très modérément au bout du compte.

    Tout cela au prétexte de l’obligation de confraternité, qui est juste quand elle s’exerce dans l’intérêt des patients, mais néfaste quand elle sert à protéger les fautes et les malversations des médecins.

    À l’inverse, l’Ordre des pharmaciens a dû saisir la justice, récemment, pour s’opposer à une campagne de dénigrement menée par un syndicat d’infirmières libérales, qui dénonçait la possibilité donnée aux pharmaciens d’injecter certains vaccins ; mesure de bon sens qui bénéficie à tous. Mais voilà, les infirmières auraient bien voulu conserver leur privilège de la piquouze, partagé avec les médecins.

    Comme si l’on ne manquait pas d’infirmières libérales aussi bien que de médecins. Comme si le code de déontologie des infirmières ne les obligeait pas à la confraternité avec les pharmaciens, aussi bien qu’avec leurs pairs. Comme s’il n’était pas plus simple de se faire injecter à l’endroit de délivrance du vaccin, au lieu de multiplier les ordonnances et les rendez-vous. Comme si l’objectif des infirmières ne devait pas être la santé publique, et non le grattage de je ne sais quel petit privilège à la noix pour préserver (peut-être) leurs revenus à court terme.

    En réalité, le corporatisme à la française n’est pas une défense libérale du droit de s’associer et de mener ses affaires entre soi. C’est une machine de guerre contre la concurrence, c’est une privatisation de la passion étatiste, c’est le socialisme décentralisé.

    Non seulement nous devons supporter le joug étouffant d’un État « fort et stratège », si fort et si stratège qu’il paye ses fournitures cinq fois leur prix normal avec l’argent gratuit des autres, mais nous devons, en plus, supporter l’arrogance et la désinvolture d’une théorie de petits flics défendant leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général, sous prétexte d’éthique et de déontologie.

    Déontologie mon c…, comme dirait Zazie.

    1. hameau dans les nuages

      À propos de vos fesses, puisque vous dénigrez l’homéopathie et sans doute la médecine par les plantes, qui elle est séculaire, et que vous avez une sacrée tendance à monter dans les tours sur tous les sujets, je vais vous donner une formule ne coûtant pas un centime à la Sécu et n’enrichissant pas les pharmacies, qui se sont bien gavées avec la vaccination Covid — et cela sans effet.
      Alors, notez bien :

      Vous prenez chaque soir quelques feuilles de laurier-sauce séchées que vous mettez dans un bol d’eau frémissante. Vous couvrez le bol et attendez environ cinq bonnes minutes. Vous en ingurgitez le contenu juste avant de vous coucher. Et là, miracle… Vous êtes en paix : un sommeil profond et reposant vous gagne. Un chant grégorien en fond sonore peut aussi aider si vous êtes en transe scripturale.

      Vous allez me dire que c’est un truc de plouc. Oui, l’expérience des ploucs date de bien avant la science chimique. C’est ainsi que, dans la majorité des fermes, comme la mienne, un magnifique laurier-sauce trône au milieu du jardin et que bien des gens viennent se servir gratuitement pour leur pharmacopée naturelle et pour la fête des Rameaux.
      Ne me remerciez pas, je suis comme ça.

  5. « Pour avoir certains exemples dans la tête, je suis persuadé que le corporatisme du barreau est trop souvent un bouclier infranchissable et que les Conseils de l’Ordre n’ont que trop tendance à minimiser les problèmes qui leur sont soumis. Cette accumulation, ces derniers temps, de griefs, de soupçons ou de scandales liés au comportement d’avocats de plus en plus nombreux n’est pas anodine » (PB)

    Le corporatisme des avocats n’a vraiment rien à envier à celui des magistrats.
    On peut le constater avec les agissements de ceux qui sont chargés de traiter l’affaire – ou plutôt les affaires – Sarkozy, bien décidés à faire rendre gorge à celui qui a eu l’outrecuidance de les traiter de « petits pois ». Non, un président ne devrait pas dire ça !

    Tout comme, d’ailleurs, l’accumulation « de griefs, de soupçons ou de scandales ».
    J’en veux pour exemple les écoutes téléphoniques entre NS et ses avocats, pratique totalement illégale, tout comme son incarcération sans aucune preuve établie.
    Ou encore ce juge qui a autorisé un narcotrafiquant parmi les plus dangereux
    à sortir de prison pour « trouver du travail »,
    et cela malgré l’opposition du parquet, du directeur de l’établissement pénitentiaire et même du syndicat du personnel. On rêve !

    Sans oublier, évidemment, le fameux « mur des cons », qui donne une image peu glorieuse d’une corporation ayant parfois tendance à abuser des pouvoirs qui lui ont été confiés.

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