Loin de moi l’idée de chercher une quelconque vérité dans des propos attribués à Staline ; néanmoins, une formule qu’on lui prête — sans certitude quant à son authenticité — affirme qu’un mort relève de la tragédie, tandis que des milliers ne seraient plus qu’une statistique.
Sur le plan criminel, cette observation cynique peut trouver une traduction épouvantable. Un certain Samir T. avait tué une septuagénaire de 468 coups de couteau à Toulouse, le 1er janvier 2011. Il avait été déclaré pénalement irresponsable et était sorti de l’hôpital après quatorze années d’internement.
Il a été mis en examen, le 11 décembre 2025, avec trois autres hommes, pour un viol sur personne vulnérable, au début du mois (Sud Ouest).
Cette brève relation du parcours de Samir T. permet de mettre en lumière trois problèmes qui ne sont pas forcément compris par tous.
Le premier concerne l’irresponsabilité pénale du meurtrier, qui a porté un nombre hallucinant de coups de couteau : 468. Pour ma part, comme avocat général à la cour d’assises de Paris, je n’ai connu qu’une seule procédure comparable : une prostituée ayant tué son proxénète de 28 coups de couteau, celui-ci refusant de la laisser échapper à sa dépendance et à sa servitude. J’avais requis son acquittement et j’avais été suivi par le jury. J’avais soutenu que le nombre même de coups révélait une intention homicide à ce point éclatée et diluée qu’elle finissait, en quelque sorte, par disparaître.

S’agissant du crime de Samir T. et de son irresponsabilité pénale, il a donné lieu à un échange passionnant et contradictoire, le 22 décembre, sur le plateau des Vraies Voix, à Sud Radio, entre Philippe David, qui dénonçait cette mise hors de cause psychiatrique, et moi-même, qui la validais. Sans me pousser du col, l’analyse psychologique à elle seule, ajoutée à la surabondance de violence, montrait qu’une telle frénésie faisait sortir son auteur de la criminalité ordinaire — caractérisée par un lien clair et identifiable entre le criminel et sa victime — pour la faire entrer dans le registre de la folie, où celle-ci disparaît en quelque sorte symboliquement, ne confrontant plus l’auteur qu’à lui-même et à son délire. Celui-ci le pousse alors, dans un aveuglement sans mesure ni limite, à dépasser l’atroce normalité qui rend la plupart des crimes odieusement logiques.
Les 468 coups de couteau révélaient, en effet, une furie déconnectée du réel, un abandon statistique au dérèglement de soi, comme si l’être avait déserté la raison pour entrer dans le territoire glaçant d’une cruauté qui ne jouissait que d’elle-même.
Cette personne aurait-elle dû sortir de son internement au bout de quatorze ans ? Ne nous dissimulons pas derrière une lucidité rétrospective que viendrait faussement éclairer le viol récent. Je ne doute pas qu’au moment où la décision de mettre fin à son hospitalisation a été prise, l’arbitrage entre le risque d’une telle libération et la conviction que la société n’en serait pas victime ait été pesé. Si Samir T. est condamné, cette seconde branche de l’alternative apparaîtra pour ce qu’elle était : une pure illusion et un humanisme dévastateur.
Enfin, on peut relever que l’irresponsabilité pénale constatée en janvier 2011 pourrait être apparemment compatible avec une responsabilité pénale, au moins relative, en décembre 2025. Les ombres qui, sur le plan criminel, obscurcissent parfois totalement un individu sont susceptibles de se dissiper. On n’est pas nécessairement criminel et fou à vie.
Pour le meilleur comme pour le tragique.