Mon premier mouvement a toujours été de soutenir le garde des Sceaux dans ses interventions périphériques, sans qu’elles soient jamais totalement détachées de sa prestigieuse fonction de ministre de la Justice. Je ne pouvais, en effet, m’empêcher d’estimer cette personnalité qui entendait demeurer libre et refusait, même dans son expression publique, de sacrifier ses amitiés ou son estime.
Il l’a fait pour Nicolas Sarkozy, en tentant tant bien que mal de rattacher sa sollicitude à l’égard de l’ancien président à son obligation de vérifier, pour sa sauvegarde, les conditions de son incarcération. Il a été très critiqué par les syndicats de magistrats, mais, en définitive, on n’a pas considéré que la manière dont ce soutien avait été formulé portait atteinte à l’équité de l’appel à venir au début de l’année 2026.
Mais, à l’évidence, le ministre est un homme entêté dans ses résolutions, pour le meilleur en ce qui concerne la politique qu’il mène et qu’il projette, sur un mode plus ambigu s’agissant de la persistance de ses fidélités amicales et politiques malgré l’énoncé d’une condamnation.
En effet, le ministre a assuré de son « soutien » un élu du Nord condamné par la cour d’appel de Douai à dix-huit mois de prison avec sursis et à deux ans d’inéligibilité pour détournement de fonds.
Deux syndicats de magistrats se sont indignés, jeudi 18 décembre, des propos de Gérald Darmanin. Celui-ci a précisé sur X que, « sans commenter d’aucune manière une décision de justice », il avait « une pensée plus qu’amicale pour Damien Castelain, qui est un grand président de la Métropole de Lille et un maire passionné de Péronne-en-Mélantois (…), dans un moment difficile ».

Même si Gérald Darmanin délimite clairement son champ d’expression en affirmant qu’il ne relève pas du commentaire d’une décision de justice, l’USM a considéré comme « problématique » toute expression publique de soutien à un justiciable condamné « .
Pour le moins, il s’agit d’une attitude quelque peu schizophrénique du garde des Sceaux, qui choisit de rester sur une ligne de crête, conciliant les exigences de sa fonction et ses fidélités politiques et personnelles.
On notera qu’il ne s’agit pas de la démarche qui avait été reprochée à François Bayrou, lequel ne parvenait pas à comprendre que le citoyen ne pouvait pas, sur des sujets judiciaires, prendre sans difficulté la relève du garde des Sceaux.
Gérald Darmanin s’efforce de faire d’une pierre ministérielle deux coups, si j’ose dire. Il me semble que cette intervention, qui introduit un peu de liberté dans le carcan ministériel, n’a rien de gravissime.
Elle me paraît plus préjudiciable à la multitude de ceux qui soutiennent l’émergence et la pratique intelligente, très active, enfin, d’un authentique et remarquable ministre de la Justice. Non pas parce qu’il a succédé, place Vendôme, à une personnalité qui validait le contraire de ce que l’avocat plaidait – cela ne concerne que le seul Éric Dupond-Moretti – et qui n’était pas loin de faire passer pour une politique pénale ses éructations constantes, notamment parlementaires, contre le Rassemblement national.
Je demande respectueusement à Gérald Darmanin de songer, dans son expression publique, aux citoyens qui sont enfin heureux – comme hier avec Bruno Retailleau – de voir le régalien pris en charge par des responsables dignes de ce nom, qui honorent et ont honoré leur fonction sans se contenter d’être honorés par elle.
Il faut que le ministre Darmanin ne rende pas trop difficile le soutien qui lui est apporté, ni l’admiration qu’il peut susciter au sein d’un gouvernement imparfait, par son inlassable et novatrice volonté de changement, et par son action effective.
Si j’osais, j’irais jusqu’à lui demander de ne pas me contraindre, lorsque j’écris des billets pour le défendre ou l’approuver, à des exercices de plus en plus éprouvants.
À sa décharge, depuis qu’il accepta de bon gré de devenir le président d’honneur de la branche parisienne des supporters internationaux du FC Liverpool, il lui fut beaucoup pardonné.
On vient le consulter, lui toucher deux mots, tâter sur tout son avis, régler en sa compagnie la composition des équipes.
Comme M. Sarkozy, dans le temps.
Normal qu’il rende la pareille, dans son auguste générosité.
Il laisse venir à lui le pouvoir des petites onctions, distribue d’invisibles indulgences, en Pilate inversé, reçoit les amendements de chacun.
Sans que cet emploi ne l’oblige à porter des bagues qu’un nouvel usage républicain nous forcerait à embrasser.
Aucun danger qu’il ne devienne un Andreotti français.
Question de classe naturelle.
Maire de Lille dans les années trente, peut-être — comme Herriot à Lyon ou Macron à Marseille dans les années quarante — devrait suffire à sa recherche de gloire, entre deux réceptions de condamnés à la cangue ou au pilori médiatico-politiques, pour ne pas perdre la main.
Pas facile d’être garde des Sceaux aujourd’hui avec un Syndicat de la magistrature qui est particulièrement sourcilleux dès que l’on touche à son pré carré.
Il faut bien reconnaître que Gérald Darmanin s’en tire plutôt bien, même si, parfois, « ça frotte un peu » avec ce syndicat. Mais finalement, GD réussit à conjuguer avec un certain talent les devoirs de sa charge et sa fidélité envers des amis qui ont des démêlés avec la justice.
Alors que les prétendants à la fonction suprême ne cessent de s’afficher dans les médias et sur les réseaux sociaux, GD, lui, se fait plutôt discret, ce qui ne l’empêche pas, au demeurant, de penser à 2027. Mais la route est encore longue et il s’agit de ménager ses forces quand il faudra donner toute son énergie lors de la campagne électorale.
Aussi, la solution la plus sage est-elle d’écouter la consigne de Lao-Tseu :
« Si quelqu’un t’a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre. »
Je pense que Gérald Darmanin n’aura pas longtemps à attendre.
« Si j’osais, j’irais jusqu’à lui demander de ne pas me contraindre, lorsque j’écris des billets pour le défendre ou l’approuver, à des exercices de plus en plus éprouvants. » (PB)
La politesse Grand siècle est un authentique exercice littéraire, qui requiert d’insignes qualités : une profonde connaissance de la langue, bien sûr, mais aussi une sensibilité poussée, une imagination féconde, une rigueur extrême, ainsi qu’une authentique empathie contrebalancée par un sens aigu de la justice.
Personnellement, si j’étais Darmanin, je voterais Bilger. L’inverse, je ne sais pas.
Dire qu’il y a à peu près vingt ans, l’homme faisait ses gammes chez Vanneste. Quel grand écart il a fait depuis !
Si on ne le retient pas dans son élan, d’ici quinze à vingt ans, il devrait atteindre LFI. On sait l’homme opportuniste et très peu regardant dès lors qu’il s’agit d’augmenter son pouvoir.
Il donne déjà des gages et multiplie les signes d’amitié. Rendez-vous est pris dans quelques années pour le pari.
Cher Philippe,
La vie est rude. Soutenir Gérald Darmanin, dont les fidélités amicales et politiques l’amènent à flirter avec les limites de sa charge prestigieuse de garde des Sceaux, au point de susciter l’indignation des syndicats de magistrats.
Expliquer que Bruno Retailleau a réussi sa sortie du gouvernement, tout en vantant son autorité alors qu’il peine à imposer sa discipline à ses propres députés. Nier que le parti LR agonise, alors qu’il se disperse façon puzzle.
Endurer les quolibets de Pascal Praud, dont la suffisance s’amplifie en proportion inverse de sa maîtrise des sujets qu’il est supposé traiter.
Et le pire reste à venir : si jamais, à l’approche de la prochaine présidentielle, vous vous sentiez contraint d’exhorter vos fidèles lecteurs à porter leurs suffrages sur un jeune homme de 32 ans, dépourvu de formation solide et d’expérience substantielle pour exercer la fonction suprême.
Courage Philippe, nous admirons vos exercices d’équilibriste intellectuel autant qu’ils vous épuisent !