Les programmes de
télévision, durant les vacances d’été, sont médiocres. Heureusement il y a la
radio qui diffuse une sélection des meilleures émissions. C’est ainsi que j’ai
pu écouter sur France Inter la reprise d’un entretien avec Frédéric Taddéï
(FD). Même si ce dernier n’est pas rare dans mes billets, et encore récemment,
je n’ai pas hésité une seconde.
D’une part, ce que j’ai
entendu mérite qu’on s’y attache et, d’autre part, il me semble qu’un blog peut
se donner le droit, sur un même sujet ou une même personne, de favoriser des
approfondissements qui feront au moins le bonheur du rédacteur !
Pour tout dire, cette
interview m’a beaucoup plu parce qu’elle a justifié la sympathie intellectuelle
et médiatique que FT m’a toujours inspirée, notamment lors de mes deux
participations aux débats qu’il animait. Les questions pertinentes qui lui
étaient posées l’ont obligé à théoriser sa pratique et à fournir des clés
intéressantes pour la compréhension de « Ce soir (ou jamais) ». On a
trop rarement l’opportunité d’entendre une intelligence, sans détour ni
hypocrisie, exposer ses goûts et ses dégoûts, sa méthode et sa psychologie,
avec un discours qui explique lucidement le succès d’une émission culturelle. Dans
notre paysage télévisuel, ceci relève de l’exploit. Par contraste il est aussi
riche d’enseignement sur d’autres « talk-show ».
FT définit parfaitement
la nouveauté de son émission – quatre soirées par semaine – en soulignant que
l’actualité y est appréhendée et jugée par le monde culturel. « Ce soir
(ou jamais) » échappe ainsi à la plaie médiatique des promotions
ostensibles. Ce sont celles-ci qui justifient des émissions dont la substance
n’est composée que d’exclamations faussement enthousiastes sur la qualité
prétendue de l’œuvre.
Cette singularité de "Ce
soir (ou jamais)" évite à FT de s’impliquer en quoi que ce soit dans une
entreprise de glorification ou de dénonciation des personnes invitées sur son
plateau et de leurs livres. Il se campe, et c’est sa force, dans une attitude
qu’il qualifie lui-même de "neutralité bienveillante".
FT ne se trompe pas non
plus sur l’originalité d’une émission qui à l’évidence n’écarte personne du
débat de société traité. Aucune exclusive ne frappe quelque intellectuel ou essayiste que ce soit. Au contraire, cette
volonté de rassembler les esprits les plus divers, les plus contradictoires,
médiatiquement célébrés aussi bien que méconnus, constitue la source principale
de l’épanouissement du téléspectateur qui, pour une fois, peut s’abandonner à
un plaisir sans mélange. Il n’est pas contraint comme en d’autres
circonstances de garder dans un coin de sa tête une frustration, une aigreur
devant une liberté d’expression qui aurait été clairement amputée
par l’animateur. FT a invité Alain Badiou, Marc-Edouard Nabe, Alain Soral, Dieudonné et d’autres
qui sur des registres différents étaient considérés comme peu compatibles avec
l’encens promotionnel, l’eau bénite épandue à foison. Chez FT – il ne s’en
défend pas -, il y a l’ironie de la provocation et l’audace de la controverse, il
se frotte les mains et l’esprit devant ce qui chez la plupart de ses collègues
(en a-t-il ?) susciterait sinon crainte, du moins réserve et retenue.
Parce qu’il n’éprouve pas la moindre angoisse à l’idée d’être assimilé à tel ou
tel de ses compagnons sulfureux d’un soir quand les autres sont tétanisés parce
qu’on pourrait les confondre ! Il faut du courage pour susciter une
adhésion honorable quand la vulgarité de la révérence et du conformisme vous
fait applaudir à bon compte !
Enfin – et c’est le point
fondamental -, FT énonce ce qu’on n’ose jamais formuler et qui, corrélatif à la
promotion frénétique, représente le vice structurel des émissions dites
culturelles : il a horreur de la médiocrité qui juge le talent. D’où sa propre
abstention qui le conduit à demeurer dans une intelligente lisière, au bord des
livres et des idées, et son souci de ne jamais rendre indignes les
appréciations portées par une part de ses invités sur l’autre.
Comment ne pas penser que
souvent, ailleurs, c’est la médiocrité qui juge la médiocrité ou que, parfois,
c’est le talent qui juge la médiocrité mais celle-ci demeurant préservée malgré les assauts de celui-là ? Je songe évidemment aux talentueux dynamiteurs Zemmour et Naulleau qui
mettent en pièces des médiocres susceptibles sollicités par aberration mais sauvés par Ruquier jamais à court d'une flagornerie commerciale. Les premiers tentent un peu de vérité quand le second s'acharne à jouer le jeu de la télé. C'est la convention qui gagne à tout coup. Forcément. Le rouleau compresseur de l'insincérité est trop fort.
Rien de plus
insupportable, en effet, que l’attitude dénoncée par FT et qui met sous une
domination superficielle et inculte des personnalités que leur peu d’expérience
des médias désarme et déstabilise !
A sa manière, Bernard Campan
aborde le même problème quand dans TV Magazine repris par Télé Obs il
déclare : "Ardisson, Ruquier et les autres aiment tendre des pièges.
Naulleau et Zemmour vous assassinent et Ruquier se défend en disant :
« Ah, c’est pas moi ! » Vous trouvez ça honnête ? »
Campan se trompe à mon sens. La connivence qu’il met en cause n’existe pas.
C’est au contraire Ruquier qui vient au secours de ceux qui n’espéraient que de
la promotion et se sont vu rappeler sèchement à l’ordre par Zemmour et Naulleau.
Il est facile de
percevoir comme FT apparaît comme un animal étrange au sein de cette faune et
de cette flore médiatiques. Il n’a pas choisi de faire la télévision de nos
faiblesses mais celle de ses envies.
Dès lors, il est évidemment
tout seul.