Robert Badinter a été panthéonisé. C’est la loi du genre : on n’a vanté que les lumières avec cette manie française de ne savoir osciller qu’entre adorations et détestations.
Mais je comprends bien que dans cette cérémonie tout entière consacrée à l’hyperbole et à l’hommage, il était difficile de laisser place à autre chose.
Pourtant, il y a une séquence destinée à célébrer et à émouvoir qui a fait surgir, en moi, des sentiments contradictoires.
Julien Clerc a chanté cette dénonciation de la peine de mort avec le texte de Jean-Loup Dabadie et la musique superbe de Julien Clerc lui-même.
Des avocats en robe ont défilé comme pour nous signifier que l’abolition de la peine de mort concernait plus le barreau que le peuple français. Alors que je crois que beaucoup, au sein de la communauté nationale, avaient approuvé la victoire parlementaire de Robert Badinter que le soutien de François Mitterrand, pourtant pas chiche à une certaine époque dans ses refus des grâces, avait largement permise.
Moi-même, absolument pas persuadé par les considérations morales contre la peine de mort – je me sentais capable de les réfuter, une à une, sans tomber dans la sauvagerie -, je ne l’aurais jamais requise dans ma vie judiciaire pour une double raison de nature très différente : même prévue par le code pénal, cette sanction était moins technique que métaphysique : elle ne relevait pas du pouvoir humain. Et cette peine absolue imposait une justice absolue, ce que même un contempteur comme moi des prétendues erreurs judiciaires à répétition n’allait pas jusqu’à admettre (voir mon billet du 5 novembre 2019 : « Un intellectuel pour la peine de mort »).

Face à cette sanctification laïque, à cet humanisme glorifié, j’ose à peine avouer le surgissement de démons, de cauchemars qui venaient troubler l’harmonie consensuelle et la sérénité des bonnes consciences. Je ne voyais plus seulement ces criminels, ces assassins auxquels l’abolition de la peine de mort avait sauvé la vie, mais la douloureuse, tragique et impressionnante multitude des victimes, totalement oubliées au Panthéon et dont les hurlements silencieux d’outre-tombe auraient au moins mérité d’être évoqués.
Il me semble que par compassion, par honnêteté, on aurait dû, aux côtés de ces malfaisants laissés heureusement vivants, rendre hommage à cette immense foule des victimes de cette malfaisance. Non seulement aux existences épargnées, mais aux destins massacrés.
Il y avait quelque chose de fondamental qui ainsi était occulté en ce jeudi solennel du 9 octobre. Il ne peut pas y avoir d’humanisme totalement heureux.
J’ai failli citer le même passage que celui évoqué par Exilé.
Comme lui, je souscris entièrement à ce billet. Je n’ai pas apprécié cette cérémonie dégoulinante de bons sentiments, de moraline, même si l’on doit reconnaître à monsieur Badinter de grandes qualités d’avocat, sans doute l’un des plus brillants de sa génération.
On ne saurait non plus ignorer l’ignominie de la dégradation de sa tombe d’autant que, sauf erreur de ma part, le cercueil mis dans la crypte du Panthéon était vide, son corps étant resté dans sa tombe qui n’est donc pas un cénotaphe, contrairement à la tombe de Jean Jaurès restée vide dans le cimetière d’Albi où il avait reposé jusqu’à son transfert au Panthéon.
« Il me semble que par compassion, par honnêteté, on aurait dû, aux côtés de ces malfaisants laissés heureusement vivants, rendre hommage à cette immense foule des victimes de cette malfaisance, du crime. Non seulement aux existences épargnées mais aux destins massacrés. » (PB)
Vous avez dit l’essentiel, cher monsieur Bilger.
L’humanisme glorifié pour les assassins, et un cauchemar pour les victimes innocentes assassinées, et à venir. Emmanuel Macron devrait se reconvertir en croque-mort et commencer à fleurir les tombes des malheureuses victimes.
L’histoire nous dira si Emmanuel Macron sera panthéonisé ou christianisé à la mosquée des Deux-Églises.