Revue des Deux Mondes : crise de couple ?

La Revue des Deux Mondes n’a pas besoin d’être louée : elle est remarquable.

Sa dernière livraison nous offre un entretien passionnant avec Pascal Bruckner dans lequel celui-ci, avec son intelligence et sa verve caustique habituelle, dénonce « les ravages du déclinisme et du catastrophisme », sans oublier le wokisme et ses méfaits.

Mon éloge de la Revue me permet d’avoir bonne conscience malgré mon appréciation peu enthousiaste du dossier « Justice et Politique : un couple en crise ».

Non que les personnes conviées à s’exprimer n’aient pas été légitimes et que les analyses judiciaires et historiques aient manqué d’intérêt, bien au contraire. D’où vient alors ma déception, peut-être partagée par d’autres lecteurs ?

Principalement parce que, sur un thème ressassé sans que jamais des solutions fiables n’aient été produites, on espérait autre chose que de brillantes banalités. La justice et la politique sont laissées en dehors du champ des responsabilités, alors qu’à l’évidence la frilosité de la première et l’ignorance de la seconde ont leur part dans la mésentente de leur couple si mal accordé.

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Il n’y a pas d’impossibilité structurelle à une cohabitation apaisée et de bonne qualité démocratique entre les juges et les politiques. En effet, alors que l’univers judiciaire, au niveau de ses organes de pouvoir, a recouvré son indépendance, et qu’enfin un grand garde des Sceaux s’occupe de son présent et de ses intérêts, je suis persuadé qu’une affirmation plus fière, par les magistrats eux-mêmes, de leur rôle capital dans l’espace républicain, serait paradoxalement un remède. Démontrer, par une pratique libre et intelligente, sans la moindre mauvaise conscience, que ce couple connaîtra des hauts et des bas, à cause seulement de la plus ou moins grande moralité des politiques et de l’obligation pour les juges d’assumer leurs devoirs dans le respect strict de la procédure, de la mission de défense des avocats et de l’attente du citoyen qui ne souhaite pas une justice qui s’enlise mais qui conclut.

Avec une telle vision, le débat sur « pouvoir » ou « autorité » n’a aucun sens puisque, quelle que soit l’étiquette, le magistrat n’aura pas d’autre ressource que de démontrer concrètement, chaque jour, ce qu’il vaut à partir de ce qu’il accomplit. En se souciant exclusivement et de la loi qui s’impose à lui et de la société qui le veut efficace et irréprochable.

On ne peut plus se contenter, comme le fait François Molins, d’énoncer des considérations paisibles, des propos sereins sur l’état de la Justice sans, d’une part, accepter de mettre en cause l’institution judiciaire et, d’autre part, se projeter dans un futur où la chose politique partisane sera étouffée peut-être parce qu’on l’aura remplacée par une transparence politique à ciel ouvert. Je me doute bien que cette ouverture ne sera pas validée par tous.

On me concédera que je n’ai jamais été inconditionnel à l’égard des structures comme le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne garantissent pas l’exclusion d’une politisation subtile ni la prédominance des valeurs de compétence et d’indépendance. N’y aurait-il pas une voie de progrès, à l’instar d’autres pays qui l’ont mise en oeuvre, dans le fait non plus de prétendre chasser l’inévitable risque de politisation de chacun avec les influences partisanes et clientélistes, tâche impossible, mais en ouvrant grandes les portes d’un monde politique pluraliste et s’acceptant comme tel, chaque parti étant un contre-pouvoir pour les autres. La seule manière de vaincre le soupçon du politique ne serait-elle pas paradoxalement de placer le politique dans sa noblesse et sa diversité au coeur du judiciaire et des choix professionnels ?

Je ne sais pas si ces interrogations sont absurdes ou pertinentes. En tout cas, elles me paraissent relever d’un débat, d’audaces et de provocations que la Revue des Deux Mondes, avec sa qualité et son impartialité, aurait pu faire surgir.

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Voir les Commentaires (14)
  1. Xavier NEBOUT

    Le peuple ayant dicté la loi, la morale savamment traduite en doctrine et en jurisprudence, dicte au juge s’il y a lieu de l’appliquer et dans quelle mesure dans ce qu’on appelle un État de droit.
    La morale est établie par les conditions posées au salut de l’âme par les dogmes d’une religion, et à défaut, par des idéologies. En tout état de cause, ne devant pas faire l’objet du débat judiciaire, elle doit être unanimement acceptée, c’est à dire en terme à la mode : être totalitaire.
    Alors, c’est en France, soit le christianisme du XIIe siècle, soit celui du communisme, soit celui du fascisme qui s’est voulu entre les deux. Le premier a fait le bonheur des peuples, les autres leur malheur.
    Tout le reste relève du vent décliné en baratins se traduisant par des révolutions de la réforme au wokisme en passant par 1789, et au train où vont les baratineurs, le salut viendra peut-être de l’Islam.

  2. Ah ben si c’est l’anniversaire de notre hôte, je lui souhaite moi aussi un bon anniversaire à notre cher Philippe Bilger, avec plein d’inspiration pour les billets à venir !

  3. Bon anniversaire ! Que l’anniversaire en soit joyeux et la vie qui suit la fête, meilleure encore, comme un gâteau au goût encore plus réjouissant que la vue des petites bougies le décorant.

  4. Petit cadeau d’anniversaire !
    Je ne commenterai pas le billet pour ne pas contredire d’abord, et contrarier ensuite, le Boss.
    C’est le cadeau d’anniversaire que me fait mon épouse, chaque année.

  5. Oui, ça se lit encore, mais tout baisse : la presse de Gauche bien sûr (il n’y en a plus), mais aussi l’autre. La Revue des Deux Mondes, c’est un peu le Temps ou le Mercure de France : convenu et lissé, mais fort bien rédigé. Enfin, dans le temps. Quand les Normaliens et les Inspecteurs des Finances savaient écrire.
    Si j’ouvre au hasard un volume poussiéreux de cette revue, qui à sa fondation en 1829 était aussi progressiste que le Figaro, je tombe pour janvier 1908 sur les signatures d’Henri de Régnier, Paul Leroy-Beaulieu, Henry Bordeaux, Anna de Noailles, Emile Male et Charles Diehl. Nous n’avons plus l’équivalent en critique politique depuis que le Figaro a cessé d’être ce qu’il était… Et l’Histoire de l’art ne fait plus vendre.
    Mais surtout, le numéro renferme un article d’André Tardieu sur le Japon, avec son côté visionnaire habituel – on ne le surnommait pas le Mirobolant pour rien :
    « Le gouvernement du Mikado, dans sa forme actuelle, n’est point capable d’entraînements et ne fera pas de guerres inutiles ou dangereuses. Mais de même que s’est transformé dans le passé l’outillage du Japon, de même ses conditions politiques peuvent se modifier dans l’avenir. L’entraînement irréfléchi des foules peut l’emporter sur l’action réfléchie des « Anciens. » Que la population, d’un progrès colossal dans sa continuité, s’accroisse jusqu’à saturer les débouchés immenses ouverts par les dernières guerres, en faudra-t-il plus pour que les Hawaï et les Philippines soient convoitées comme l’ont été ou Formose ou la Corée ? Mais, — sans parler de la difficulté de saisir ces proies nouvelles, — bien des années passeront avant qu’il en soit ainsi ».
    Le dernier qui pensait aussi loin – et qui appréciait Tardieu – repose depuis près de soixante ans dans le cimetière d’un patelin perdu en Haute-Marne.
    P.-S. : bon anniversaire, Monsieur Bilger !

  6. Bon anniversaire M. Bilger avec un jour de retard, continuez à nous régaler avec vos articles, bouffées d’air de liberté.
    Et vive les chroniqueurs de CNews qui eux aussi sont seuls au monde à braver la propagande officielle macronienne du sentiment d’insécurité de Dupond-Moretti.
    Bilger, CNews, voilà mes deux kifs, ma came, mon shit quotidien.
    Pas mal non plus les GG sur RMC, très populo et proche des péquenots dont je fais partie.
    Regrets pour la petite émission de La Tour du Pin, Naulleau, Moix que j’adorais sur C8.

  7. Rejoignant @sylvain dans le retard, voilà que le souhait de bon anniversaire ressortit à l’hommage, et vous le méritez bien.
    Quant au fond, c’est le doute qui s’installe et perdure, et comme le disait Pierre Dac, je crois, « c’est long comme lacune ».
    Non, vraiment, espérer quelque chose de mieux dans une humanité qui croule sous les contradictions et les effeuillages de marguerite, c’est comme croire en Lénine. Tout marche cahin-caha, sous l’empire de l’ambition immédiate et du « on verra demain ».
    Entendre le petit lieutenant du FSB (nous avons bien eu un petit caporal) dire « c’est pas moi, c’est l’autre » dans le déclenchement du conflit ukrainien qui nous fait tous couler, c’est dérisoire, et dans dérisoire il y a rigoler.
    Le pékin que je suis en vient à la tristesse pour le futur, en comparant des progrès merveilleux contrés par la peur de la guerre ou le crétinisme de la fonction gouvernementale.
    Comment avoir de la sensibilité dans un pays écrasé par la légistique, cette science responsable de nos 400.000 normes contre 37.000 en Allemagne ? Un assassinat pur et simple et je lis ce matin que l’entreprise Hemarina, auteur d’une découverte biologique expérimentée, aboutie sur un sujet humain brûlé à 90 %, il y a quelques années, et qui vient de célébrer son mariage que la France, pardon, l’administration de la Santé, fait sa chochotte, poussant vraisemblablement l’entreprise à quitter la France, malgré le patriotisme du dirigeant, issu de milieu modeste, parce que pénalisée par des énarques, peut-être, des fonctionnaires c’est sûr.
    Comment voulez-vous remonter de ce gouffre ? Quel politique, à part quelques vagissements de protestation, s’aventurera dans ce combat ?
    Paisible, considération, équilibre : savez-vous de quoi il s’agit aujourd’hui dans ce pays vidé de ses gloires ? De la laideur de nos politiques, leur indifférence à la France. Un pays d’ignorants mais plein à ras bord de chefs de bureau et de fiscalistes jouissant du moindre euro arraché à l’activité au nom de ce qui nous dépasse : « justice », « respect mutuel », « avis partagé »… et instrumenté par l’Educ Nat, longtemps séide d’un PC prosterné devant la pire ordure que le monde ait porté.
    Quant à compter sur l’islam pour nous sauver, mille pardons, cher préopinant, mais en raison même des positions vis-à-vis des populations, et du respect élémentaire de la vie, on peut douter.
    L’anecdote de la casquette captée par l’industriel polonais au détriment d’un gosse destinataire d’un geste amical à l’US Open, et la réponse dudit Polonais aux vives critiques, marque d’une pierre noire la réalité. C’est le premier qui arrive qui gagne, avec menace d’action judiciaire si jamais des propos virulents venaient fleurir cette délicieuse bluette. Ce monsieur est l’image de notre régime humain : un chef d’entreprise qui a mis sa personnalité en jeu pour piquer une casquette de tennis à un gamin, au nom de la concurrence. C’est un sommet, mais pas celui que vous cherchez, cher hôte, dans l’excellence de nos semblables.

  8. @ Tipaza
    « Petit cadeau d’anniversaire !
    Je ne commenterai pas le billet pour ne pas contredire d’abord, et contrarier ensuite, le Boss. »
    De même pour moi, on ne contrarie pas Philippe Bilger le lendemain de son anniversaire alors que les libations viennent tout juste de s’achever !

  9. Michel Deluré

    En règle générale, c’est à celui dont on fête l’anniversaire que l’on offre un présent. Or, en la circonstance, il se trouve que c’est celui qui est fêté qui nous offre régulièrement des cadeaux au travers des nombreux et excellents billets dont il nous gratifie. Alors merci Philippe et surtout bon anniversaire.

  10. @ Metsys | 01 septembre 2025 à 09:46
    « Que la population, d’un progrès colossal dans sa continuité, s’accroisse jusqu’à saturer les débouchés immenses ouverts par les dernières guerres, en faudra-t-il plus pour que les Hawaï et les Philippines soient convoitées comme l’ont été ou Formose ou la Corée ? »
    C’est ce que l’on appelle avoir une vision géopolitique à long terme…

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