J’aime bien les sujets de société, les thèmes de bioéthique parce qu’en principe ils condamnent à l’intelligence et donc au doute, à l’hésitation, au scrupule et à la bonne foi.
En tout cas je l’espère. Sans doute suis-je enclin à souhaiter un débat de cette nature parce que je me sens très modeste face à la multitude de questions que de plus savants et de plus avisés que moi se posent.
Le fait que pour l’instant un consensus assez général se dégage pour refuser la gestation pour autrui (GPA) – avec la marchandisation du corps humain qu’elle implique – ne nous aide guère pour avoir un parti clair sur la procréation médicalement assistée (PMA). Sur la GPA, la médiatisation intense de Marc-Olivier Fogiel et l’écho donné à son livre ont peut-être fait bouger quelques lignes, à supposer que de son expérience personnelle et singulière – qu’il a revendiquée comme telle avec talent et conviction -, un enseignement puisse être tiré au-delà de lui-même. En tout cas, jusqu’à aujourd’hui, la GPA est ce vers quoi une majorité ne veut pas aller, accordée sur un refus qui, transgressé, nous ferait quitter l’essence et la gratuité de l’humain.
Le président de la République qui avait eu le courage lors de sa campagne de dénoncer la brutalité avec laquelle les opposants au mariage pour tous avaient été traités souhaite un débat apaisé sur la PMA – j’ai cru comprendre qu’à titre personnel il y était favorable – et il a totalement raison. Cette simple volonté de sa part, réaffirmée, a déjà eu d’heureux effets puisqu’on nous annonce que les intellectuels sont divisés sans qu’on puisse se fonder sur leurs options politiques pour les étiqueter pour ou contre la PMA. Par exemple, parmi ses adversaires, nous avons à la fois François-Xavier Bellamy et Jean-Claude Michéa aux antipodes l’un de l’autre sur le plan idéologique.
La classe politique elle-même paraît avoir découvert le bonheur de la liberté et de l’auto-détermination à propos de la PMA puisque nous avons à LREM deux députées estimables l’une et l’autre qui ont des positions contraires en les ayant argumentées.
Mieux, les principales personnalités, au nombre de cinq, de LR – Wauquiez, Retailleau, Jacob, Proust et Leonetti -, si elles tentent d’expliquer « pourquoi les Républicains s’opposeront à la PMA sans père – le font sur un mode que je perçois comme non péremptoire, empli de finesse et de modération, et donc, à cause de cette forme atténuée, non décisif et guère prescripteur pour les militants (Le Figaro).
Tant mieux car hésiter n’est pas une faute mais une chance pour tout mettre à plat et ne pas se laisser dicter des conclusions sommaires, confortablement contrastées pour échapper à la dure loi de la nuance et de l’honnêteté.
Pour ma part, à tort ou à raison, je n’ai jamais pu dissocier, sur un plan intellectuel, sociologique et humain, la discussion sur la PMA de l’adoption du mariage pour tous dont on craignait qu’il engendrât des bouleversements radicaux, ce qui n’a pas été le cas même si l’heureuse et nécessaire banalisation de l’homosexualité est contredite par trop d’agressions homophobes.
Je n’étais pas favorable au mariage pour tous pour ce motif principal tenant à la crainte d’une déstructuration familiale et sociale. Mais je m’étais toujours gardé d’aller manifester car ce n’était pas la même chose de s’opposer conceptuellement à ce qui apparaissait comme une révolution et de se confronter physiquement à ses concitoyens homosexuels qui n’étaient pas devenus des ennemis à cause de leur désir de mariage.
Le mariage pour tous a constitué le grand saut, qui nous a fait passer d’une histoire et d’une humanité « naturelles » à une pratique culturelle. L’exigence de l’être et du couple, quelle que soit la configuration de celui-ci, s’est imposée comme la règle suprême et domine tout. On assigne à la société et au pouvoir d’avoir à la satisfaire à tout prix. A partir de cette immense avancée pour les uns et, pour les autres, de réalité à admettre, la PMA, pour les femmes seules et les couples de femmes, ne me semble pas représenter un nouveau choc mais plutôt la continuation logique d’une phase capitale qui avait déjà battu en brèche les principes traditionnels de l’union amoureuse.
J’entends bien les arguments qui, contre la PMA, ne sont pas insignifiants mais appellent une contradiction pas forcément vaine.
Le comité d’éthique s’est prononcé en faveur de la PMA et même si je ne suis pas fanatique de ce type d’instances prêtes à valider comme progressiste n’importe quelle nouveauté et que probablement il n’a pas tenu assez compte des multiples oppositions qui lui ont été adressées, il n’en demeure pas moins que son avis est argumenté et n’est pas indigne de la problématique grave abordée.
On nous met en garde contre la dérive que représenterait un droit à l’enfant alors que seul devrait être sauvegardé le droit de l’enfant. Mais est-il impossible de concevoir l’expression d’un droit qui ne risquerait pas d’être pur narcissisme et fantaisie ludique mais seulement une appétence sincère et généreuse pour un enfant, cette aspiration humaine à ce point universelle qu’on est fondé à vouloir la concrétiser et à s’en enrichir, quels que soient les aléas et les impossibilités de nature ?
Sur le même registre, je ne méconnais pas que les familles avec le couple parental classique – mère et père – soient préférables dans l’absolu à des structures plus composites ou incomplètes, l’amour de deux femmes pour un enfant pouvant être aussi intense, peut-être moins structurant, mais la vie fait des miracles. L’absence d’un père en tout cas, qui est l’argument central des conservateurs pour militer contre la PMA, ne me paraît pas à elle seule déterminante pour refuser ce que la nature ne peut pas permettre et que l’amour désire.
Il n’est pas dérisoire non plus de s’angoisser face à une PMA qui serait selon certains une porte inéluctablement ouverte sur la GPA avec les conséquences négatives qui en résulteraient, le corps devenu objet de lucre. C’est évidemment un risque mais c’est une tradition trop française, face à n’importe quel présent, de le répudier parce qu’il porterait en germe un futur pire. Si on acceptait d’appréhender la PMA en elle-même et de ne pas désespérer, pour une fois, de l’intelligence et de la morale du pouvoir, d’où qu’il vienne, ce ne serait pas une mauvaise idée démocratique.
Sur la PMA, oui, on a le droit d’hésiter mais, sans me défausser, le combat capital a déjà eu lieu.
Il y a des billets qui rendent impatient leur rédacteur : il attend la pensée des autres.
Cher Philippe,
Tout d’abord et pour commencer par le PIF (le paysage intellectuel français), François-Xavier Bellamy et Jean-Claude Michéa sont-ils aux antipodes l’un de l’autre ? Il ne me semble pas. L’un est un catholique qui conjugue sa morale sociale en déguisant son langage de manière que son verbe puisse être entendu dans les médias. L’autre est un intellectuel de gauche partisan de la « common decency » qui préfère une fraternité et une solidarité naturelles à un échange de gamètes sans acte sexuel.
« Le fait que pour l’instant un consensus assez général se dégage pour refuser la gestation pour autrui (GPA) – avec la marchandisation du corps humain qu’elle implique – ne nous aide guère pour avoir un parti clair sur la procréation médicalement assistée (PMA) », écrivez-vous.
Or la gestation pour autrui implique-t-elle nécessairement « le lucre du corps » ? Une « transaction parentale » ne pourrait-elle pas se négocier entre trois amis dont deux formeraient un couple gay et la troisième serait une femme habitée par un désir d’enfant ou simplement désireuse de venir en aide à ce couple d’amis homosexuels incapables d’enfanter par les voies de la biologie ?
Ce qui se joue dans votre remarque me paraît davantage d’agiter ce consensus que d’accepter sans discussion l’axiome de cette implication marchande dans une homoparentalité plus naturelle ou dans une parentalité mixte, si la femme qui choisissait de venir en aide à ses amis homosexuels refusait de se retirer du jeu parental et que les parties en soient convenues dès le départ, instaurant une parentalité à trois, mais rien n’interdit, à l’heure des familles recomposées, d’ouvrir sérieusement le débat sur le poly-amour, qui n’est pas chimérique. Rien sinon les prescriptions religieuses qu’à titre personnel je respecte tout en ne m’interdisant pas de m’interroger sur elles, et qu’il faut écarter, non pas du débat public, mais comme sources exclusives de législation démocratique.
Abondance de référents parentaux ne devrait pas nuire, même pour les tenants de « la manif pour tous », qui n’ont pas faiblement contribué à la brutalité du débat sur « le mariage pour tous » et s’emploient désormais à diffuser la fiction que, si nous acceptons la PMA pour toutes, la norme deviendra la fécondation artificielle. La parentalité n’est pas condamnée à être duelle ou un duel que l’on provoque contre l’enfant à naître. Et même, à tout prendre, la mise en route d’un enfant par le concours de trois partenaires parentaux d’accord entre eux me paraît moins choquante que l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel masculin, qui veut imposer ses rapports non pas contre-nature, mais antibiologiques parce que nuisant à la reproduction de l’espèce, comme une contre-norme sociologique, au grand dam de l’enfant qui, comme s’il ne suffisait pas qu’il eût été abandonné au début de sa vie, se voit chargé de porter la légitimité et la fécondité sociale de l’inclination sexuelle de ses parents adoptifs.
Selon vous, la PMA pour toutes a déjà été tranchée par le mariage pour tous. Je serai plus radical et dirai pour le regretter que la PMA pour toutes a déjà été tranché par la PMA tout court, c’est-à-dire par l’acceptation qu’on puisse fabriquer un homme artificiel, indépendamment, moins de la norme biologique en tant que telle que du présupposé affectif par lequel on se représente la norme biologique, présupposé que traduit le langage courant en parlant de « faire l’amour ».
La PMA a fait apparaître que l’amour des parents doit être remplacé par le désir de l’enfant. Mais que se passe-il si ce désir n’existait pas ? L’enfant sera-t-il condamné à en souffrir toute sa vie ? La common decency d’une famille non sadique fait qu’on ne lui dira pas qu’il n’a pas été désiré. En souffrira-t-il malgré tout ? Cette absence de désir préalable est-elle un traumatisme irrémédiable ?
Si la tension formulée par le comité d’éthique est l’absence du droit à l’enfant au service du droit de l’enfant, « l’appétence d’un enfant », non à soi, mais de soi, ne pourrait-elle pas se transcender dans l’adoption devenant la norme, avec une législation devenant beaucoup plus souple à cette fin, et n’interdisant pas à l’enfant de retrouver ses parents biologiques comme il y aurait triparentalité dans le cas où un couple homosexuel masculin et une femme se mettraient d’accord pour être parents ensemble et à part entière, mais parents à trois ?
« La médiatisation de Marc-Olivier Fogiel » n’aide guère à la sérénité du débat. Mais pourquoi, dans une démocratie mature, tous les débats doivent-ils être médiatisés par ce qui arrive dans le petit monde du show biz ? Les idées et les exemples « anonymes » forment-ils une matière impropre à la réflexion de tous ?
En résumé, à mon avis :
– Oui à la GPA des couples homosexuels masculins trouvant une amie pour porter l’enfant, y compris dans une parentalité partagée.
– Non à l’adoption d’un enfant par les couples homosexuels masculins, qui font porter à un enfant qui a déjà souffert la responsabilité sociologique de l’identité de ses parents adoptifs. Une plus grande tolérance à l’égard des couples homosexuels féminins en raison de l’instinct maternel.
– Si c’était à refaire, non à la PMA au nom du rôle censé être dévolu à l’amour dans l’acte d’engendrement normal.
– Puisqu’on ne peut plus rien y changer, oui à la PMA pour toutes, mais dans un effort législatif visant à prendre en compte l’avertissement du comité d’éthique « pas de droit à l’enfant, mais les droits de l’enfant » en favorisant l’adoption, avec moins d’adoption plénière et moins de concurrence entre les parents biologiques et les parents adoptifs dans une adoption plus facile et plus généreuse.
Il ne faut pas oublier qu’un enfant a toujours un père et son ADN…
Comment surmonter ma déception de ne même pas avoir six fameux dragons ? Grâce à ce billet. Quel meilleur moyen de pousser chacun à la pensée et non à tenter de venir à bout d’un adversaire que de conclure par « Il y a des billets qui rendent impatient leur rédacteur : il attend la pensée des autres. »
Et je suis entièrement d’accord avec :
« Il n’est pas dérisoire non plus de s’angoisser face à une PMA qui serait selon certains une porte inéluctablement ouverte sur la GPA avec les conséquences négatives qui en résulteraient, le corps devenu objet de lucre. C’est évidemment un risque mais c’est une tradition trop française, face à n’importe quel présent, de le répudier parce qu’il porterait en germe un futur pire. Si on acceptait d’appréhender la PMA en elle-même et de ne pas désespérer, pour une fois, de l’intelligence et de la morale du pouvoir, d’où qu’il vienne, ce ne serait pas une mauvaise idée démocratique. »
Avec la manie de connaître ses origines au lieu de considérer ceux qui vous élèvent comme vos parents, il se peut que comme on avait autrefois des frères de lait en la personne des enfants de sa nourrice, on ait des frères de ventre. On n’a pas fait autant d’histoire pour la marchandisation du sein que du ventre, de nos jours, on aime polémiquer, ou peut-être, avec le retrait de la passion pour la théologie et la politique, cet intérêt se réinvestit-il dans le sociétal ? Sans doute, même.
Je dis merci aux femmes qui permettent à de nouveaux enfants d’exister et de trouver une famille, appelle à défendre leurs droits et inscrit les frères de ventre parmi les frères, les demi-frères, les frères de lait et les frères non charnels, que ce soit des frères dans diverses spiritualités et les confrères. Entre les frères consanguins et la fraternité, que de frères !
Le fait que pour l’instant un consensus assez général se dégage pour refuser la gestation pour autrui (GPA) – avec la marchandisation du corps humain qu’elle implique – ne nous aide guère pour avoir un parti clair sur la procréation médicalement assistée (PMA).
Marchandisation ou pas, le problème est qu’en nous permettant de jouer les docteurs Frankenstein et autres bricoleurs, nous avons mis le doigt dans un terrible engrenage qui va broyer encore un peu plus une sacralisation de la personne humaine déjà bien menacée.
@ Noblejoué | 06 novembre 2018 à 06:53
En clair vous vouliez dire quoi exactement ?
Encore le cliché. Mais aujourd’hui c’est Noël !