Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Juger n’est pas un crime !

Il est intolérable, même si on est tellement habitué à entendre le monde judiciaire protester, gémir ou se déprécier que plus personne n’y fait attention, de constater avec quelle volupté aigre la magistrature se vautre dans le dénigrement d’elle-même. De peur d’être jugée coupable, elle anticipe et est impitoyable à son encontre. Sans grandeur ni allure. Comme si elle était contingente et remplaçable alors qu’elle est nécessaire. Et que juger n’est pas un crime.

Il n’y a plus d’innocents en France !

Il ne peut plus y avoir d’innocents en France, nulle part. Parce que nous vivons dans un monde qui nous laisse croire que derrière son apparence il y a des complots, des transgressions et forcément des coupables. Parce que nous avons besoin de supputer le pire. Parce que nous avons besoin de croire en notre propre innocence

Cyril Hanouna, vous avez eu tort !

Ce monde est fou. Les histrions donnent des leçons de morale, les rappeurs sont des maîtres à penser, ont des paroles à vomir et une Zineb trop libre, trop sincère, doit se justifier. Si je croise ou si je regarde Cyril Hanouna, il n’aura plus le même air. Parce qu’il aura eu tort sur l’essentiel. Sans rire.

Adèle Haenel : enfin un peu de justice…

Je ne connais pas ce à quoi l’enquête judiciaire permettra d’aboutir. Ma seule certitude est qu’il était temps enfin d’avoir un peu de justice et que, si Christophe Ruggia est condamné, il le sera légitimement.

Un intellectuel pour la peine de mort !

Robert Badinter nous avait promis une perpétuité réelle. Il n’a pas tenu parole, de sorte que le prurit lancinant de la sanction de mort est plus un besoin vindicatif de dénoncer le scandale moral et judiciaire de ces durées relatives d’incarcération qu’une passion authentique, chez la plupart, de l’éradication du criminel.

Giovanni Falcone n’aurait pas pu être français !

Je rêve sans doute le premier et je sous-estime le second. Mais j’en ai pris mon parti et j’ai choisi ce camp. L’explosion qui a tué Falcone a fait beaucoup d’orphelins de la Justice et nous laisse à la fois fiers de lui et inconsolables.

Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ?

Le port du voile intégral est interdit. C’est en effet un scandale en même temps politique et humain. Mais cela demeure formel et fait vaciller la confiance en un pouvoir qui nous conseille de ne pas nous inquiéter mais laisse nos angoisses s’amplifier. Parce qu’on a trop peur de la force délétère et hostile de ceux qui violent la loi. Et que nous sommes gouvernés par des faibles et des inconséquents.

La forêt des crimes et délits ordinaires…

Il suffit pour s’en convaincre de constater l’augmentation préoccupante des infractions à Paris, qu’elles soient crapuleuses ou gratuites. Sans être naïf, je ne voudrais pas que les exceptions déchirant par instants notre société nous rendent indifférents à la règle monotone des transgressions quotidiennes, voire l’occultent.

Une société ou une présidence de vigilance ?

Si le président descendait de son Aventin avec la pleine conscience d’une République en abandon et en délitement, certes il aurait le droit de demeurer Antigone mais avec la force, l’audace et l’efficacité d’un Créon. On a besoin d’une présidence de vigilance.

D’abandons en scandale : on nous lâche !

Je comprends que cette philosophe soit révulsée par ce « terrorisme intellectuel » que pour la première fois elle subit et qui justement l’effraie. Et pendant ce temps, le CSA avertit à tour de bras, semonce les radios et les télés, et on s’inquiète paraît-il de la présence médiatique de l’extrême droite ! C’est grotesque.

Une parole décomplexée est-elle possible ?

Bien sûr qu’une parole décomplexée est possible, plus même, nécessaire. Mais il y faut une passion de la liberté, de la vérité, de l’écoute et de la contradiction, un respect fervent du langage et de ses richesses. Une envie d’être soi par le meilleur et non par le pire.