Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Comme une envie de frivolité…

Emmanuel Macron s’est livré à cet exercice et j’ai trouvé qu’il avait relevé le défi avec classe. Pourtant il n’a pas été épargné. Il a eu droit à tout ce qu’on n’a jamais osé formuler à son sujet, sur son couple, sur son histoire, ses échecs à l’Ecole normale supérieure, on lui a parlé d’argent…

Pourquoi si tard, monsieur le ministre ?

Quand Eric Dupond-Moretti souligne son « enthousiasme » et sa « détermination », nous n’avons aucune raison de douter de ses dispositions. Pas davantage que de sa volonté de « tout mettre en œuvre pour que la Justice soit plus rapide, plus efficace, plus protectrice et plus proche de nos concitoyens ». Nous sommes d’autant moins enclins au scepticisme que ce n’est pas rien, pour ce ministre, de contredire, sur certains points essentiels, tout ce en quoi avait cru l’avocat dans une existence antérieure.

Les partis ne peuvent-ils pas penser ?

Rien ne serait pire pour notre avenir politique et parlementaire que l’acceptation de cet appauvrissement qui laisserait la noblesse de l’esprit aux think tanks et « les mains sales » aux partis. Eux aussi méritent d’avoir droit au Tout. En le démontrant.

Nous devrions tous être Marie Lajus !

Si nous étions tous des Marie Lajus dans nos institutions et nos services publics, le climat ne serait peut-être pas gai mais la tonalité et les pratiques seraient irréprochables. Il n’y aurait pas l’ombre d’une hésitation à avoir.

Je veux admirer mais qui ?

L’admiration, idéalement, est une adhésion entière et quasiment absolue à une personnalité qu’on respecte, qui est à la fois proche et lointaine, qu’on a envie de connaître mais qu’on n’oserait pas aborder, à un être au sujet duquel on n’imagine pas avoir la moindre réserve. Cette conception, aujourd’hui, n’a plus cours. Au mieux, l’admiration cherchera à se maintenir malgré le constat de certains défauts, la certitude de plusieurs failles et l’impression qu’on ne pourra plus appréhender avec enthousiasme mais apprécier seulement sur un mode relatif…

Des femmes, oui, mais en qualité…

Outre que la parité dogmatique n’est plus en odeur de sainteté parce qu’elle a révélé son absurdité quantitative, ces avancées spontanées de la cause des femmes ont pour heureuse conséquence, brisant le piédestal viril, d’inciter les hommes en quelque sorte à se relativiser, à ne plus se croire seuls au monde politique ou dans tous les univers traditionnellement masculins ; mais à accepter non seulement une concurrence non faussée des femmes mais leur possible supériorité dans tel ou tel domaine.

A-t-on le droit d’être un magistrat heureux ?

Pourquoi n’ai-je jamais connu, à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, que des professionnels partageant une vision doloriste, comme si l’affliction singulière ou collective allait leur donner du lustre et une forme de morosité amère leur apporter une estime générale ?

Les cours criminelles départementales ne sont pas un progrès !

Comme pour la réforme de la police judiciaire, j’ai l’impression que dans les matières régaliennes, ce pouvoir n’aime pas reculer même quand probablement il a conscience de faire fausse route. Je parviens mal à comprendre pourquoi aller droit dans le mur serait plus noble que de s’éviter la catastrophe. Les CCD ne seront pas un progrès mais une régression.

Avec la permission de Pascal…

Pour aller au bout de cette élucidation, sans être imprégné de la moindre honte qui au moins me mettrait sur le chemin de la rédemption, je tente de gérer le moins mal possible cette tension entre la crudité irréfutable du dévoilement de Pascal et le « métier de vivre » selon Cesare Pavese, entre ce qui frémit de pire en soi par rapport à autrui et ce avec quoi on est bien obligé de composer pour tenir.

Et si Jupiter était coupable ?

On reproche beaucoup au président d’être hors sol, de mal connaître les Français. Même si c’est en partie vrai, il ne parviendra pas à nous duper en faisant porter le chapeau au gouvernement ou à quelques ministres quand tout, absolument tout relève de lui. Jupiter est responsable et en tout cas toujours le premier coupable.

Kylian Mbappé à toute vitesse…

Je veux finir par où j’ai commencé. Avec cette Coupe du monde, KM, quoi qu’il se passe autour de lui, quels que soient le juridisme corseté dont on l’entoure et l’empathie filtrée qui le protège, est devenu bien plus que lui-même : il appartient dorénavant, si tôt, si jeune, à cette infime catégorie de Français défaits mais triomphants, très privilégiés mais aimés, citoyens d’honneur pour lesquels l’inconditionnalité est de mise. Donc c’est le pays tout entier qui sera, à partir d’aujourd’hui, l’avocat de KM contre les salissures de toutes sortes.

Emmanuel Macron a-t-il politisé Kylian Mbappé ?

De l’ensemble de ces prestations en ressort l’impression que le président, après avoir averti quelques jours avant qu’il ne fallait pas politiser la Coupe du monde, n’a pas hésité à le faire, en s’invitant dans l’univers des sportifs plus qu’il n’avait été invité à le faire et en politisant lui-même, à sa manière narcissique et extravertie, KM et l’équipe de France. Il s’est servi de lui et d’elle : on n’a vu que lui.

Les heures de Praud…

Les heures de Pascal Praud et avec Pascal Praud éclairent, mais pour l’infirmer, ce paradoxe actuel : on veut bien être favorable à la liberté d’expression singulière et collective mais hors de question que ses manifestations ne soient pas lisses, sans heurts ni oppositions, sans contradictions ni humeurs. Avec PP, il y a des personnalités, des intelligences, des surprises et la détestation de la caporalisation suprême : celle résultant des médias dialoguant avec les médias. Qu’il soit l’objet d’une hostilité vigilante de la part de certains qu’il ne ménage pas est un honneur.