Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Avoir plus d’humeurs que de convictions, un drame ?

Cette fatigue qui parfois m’étreint ne me conduit pas à me situer dans la neutralité, entre deux eaux mais au moins à piaffer au sein de ma propre cause, à répudier le catéchisme dogmatique et partisan, à avoir peu de convictions indéracinables mais beaucoup d’humeurs. Moins la construction organisée soigneusement par un esprit et une sensibilité tout armés pour la bataille que les intuitions et les spontanéités d’un caractère s’estimant trop peu pour avoir beaucoup de certitudes, trop pour ne pas être libre.

Qui sont les vrais rebelles ?

C’est sans doute à cause de cette certitude que l’exhibitionnisme humain, social et intellectuel m’a souvent mis si mal à l’aise. Comme s’il était la preuve, précisément, d’un manque profond, comme si le dévoilement complaisant et narcissique de soi et de ses prétendues différences par rapport à la normalité, constituait la plus éclatante démonstration de la pauvreté de cette singularité.

Avant le 27 juin, c’était comment ?

Les élus, les maires étaient de plus en plus invectivés, frappés, molestés, parfois gravement, et on se demandait comment freiner cette course vers l’intolérable. Mais rien de commun avec l’émotion quasi unanime, l’indignation solidaire qui ont saisi la communauté nationale face à l’odieuse tentative d’assassinat en pleine nuit de l’épouse et des enfants du maire de L’Haÿ-les-Roses dans leur habitation après une attaque à la voiture-bélier. Comme si avant nous étions lassés de relever la multitude de ces atteintes contre lesquelles nous ne pouvions pas grand-chose, avec une justice trop clémente parfois quand elle était saisie. Elles faisaient partie de notre paysage républicain comme une sorte de repoussoir. Mais le crime contre la famille de l’édile nous a contraints à cibler, à concentrer notre indignation sur cet événement. J’espère que l’émoi d’aujourd’hui ne retombera pas et qu’il ne nous conduira pas à nous satisfaire de cette parenthèse de concorde courroucée.

Nahel puis la déclaration de guerres…

Si l’eau tiède continue de couler, les pensées convenues de s’exprimer, l’action au ralenti de se développer, la peur de faire mal aux « barbares » d’être prioritaire, nous sommes perdus. Et dire qu’on chipote encore sur l’état d’urgence !

Nahel : marche blanche ou triomphale ?

Marche blanche ou marche triomphale ? Je n’ai pas été le seul à ressentir un très vif malaise face à cette multitude d’environ 6 000 manifestants ou soutiens de la mère de Nahel, triomphalement présentée, instrumentalisée par Assa Traoré qui lui avait glissé la marche « de la révolte ». La mort de Nahel semblait oubliée. Qui éprouvait un authentique chagrin ? Qui souhaitait seulement s’en prendre aux autorités, résister aux forces de l’ordre ? Qui visait seulement à exploiter ce drame unique à des fins impures, belliqueuses, communautaristes, peu républicaines en tout cas ?

Mal à ma ou à la France ?

J’ai mal à la France quand des bouts de France sont interdits à la France de la loi, de l’ordre, de la morale et de la sauvegarde de la masse des honnêtes gens. Alors, non, je n’ai pas « mal à ma France ». Notre pays n’est pas à couper en tranches. Et, demain, à la suite de la mort de Nahel M., si un ou des policiers sont poursuivis et condamnés, leur victime ne deviendra pas « un petit ange » (sauf pour sa famille qui a toutes les excuses) pour autant et je me contenterai de me féliciter d’une République où la Justice est rendue, apposant sur les passions le décret d’une impartialité exemplaire.

Emmanuel Macron n’aime pas Anticor…

Qu’on veuille bien faire le compte de toutes les affaires dont Anticor a été à l’initiative et on constatera que l’Etat de droit de notre pays aurait été sensiblement réduit sans les diligences de cette ONG qui se vante de son apolitisme même si les exemples sont rares de son universalité. Anticor a relevé appel de cette décision du tribunal administratif. Les conséquences immédiates, sur le plan civique, ont été une mise en cause du pouvoir et un afflux de soutiens à Anticor. Au-delà de ce double effet, puis-je suggérer que le macronisme soit cette fois intelligent face à ce qu’il a coutume de mépriser : l’exigence de la morale publique n’est pas une honte et il est sain politiquement et démocratiquement de tenir compte des condamnations de ses transgressions multiples, quelle que soit la Justice saisie.

On ne remplacera pas François Molins !

François Molins était sans doute le seul à susciter une adhésion et à inspirer une estime, voire une admiration, toutes tendances professionnelles et syndicales comprises. Ce n’était pas rien que ce consensus sur sa personnalité et sa manière d’occuper le deuxième plus haut poste de la hiérarchie judiciaire. Un très grand magistrat en même temps qu’un honnête homme : un alliage rare.

Le petit chat est mort…

Le petit chat est mort sous le TGV partant à Bordeaux et on en parle beaucoup, on en parle trop. On en reparlera le 4 juillet quand la décision sera rendue. À Bordeaux, une grand-mère et sa petite-fille ont été violemment agressées. On n’en parlera pas assez et, pire, certains au plus haut niveau nous inciteront à avoir honte d’en parler davantage. Détournons-nous de cette France qu’on ne veut pas voir pour ne pas avoir à lutter contre elle.

Il nous faudrait de vrais Justes !

Il nous faudrait de vrais Justes. Des personnalités mobilisées en permanence, dont les avis compteraient, qui apposeraient sur le réel non pas leur vérité mais la vérité dégagée par une approche lucide et objective de l’immédiat. Nous gagnerions un temps précieux. Imaginons le nombre de querelles, de partialités, de dénis, d’hypocrisies et de malignités qui tomberaient à la poubelle. De polémiques pour rien abandonnées. Mais où pourrait-on trouver des Juges de cette qualité quand notre vie intellectuelle, politique, médiatique, judiciaire et culturelle est gangrenée jour après jour par la propension à prendre sa libre subjectivité, souvent approximative, pour l’expression d’une parole indépassable ?

Les parasites de la gloire des autres : nos politiques…

On cherche à s’ennoblir au regard de certaines personnalités de fiction emblématiques, qui ont marqué l’imagination collective. Dans la vie publique également, le passé historique cherche à s’immiscer dans le présent parfois médiocre d’aujourd’hui. Cette manière de faire est destinée à faire croire, par les références illustres dont on se prévaut, qu’on échappe à la morosité ou aux tumultes politiciens actuels. La nostalgie fabrique un compagnonnage avec quelques-uns admirés bien au-delà de leurs positions et convictions respectives.

Et si on avait répondu au « tueur de DRH » ?

Je voudrais attirer l’attention sur une défaillance qui depuis longtemps m’obsède et dont j’ose sans présomption soutenir que j’y ai toujours échappé, en particulier sur le plan judiciaire. On ne répond plus aux courriers, on laisse les messages se perdre, on n’accuse pas réception des plaintes, les institutions, pourvues souvent d’un secrétariat étoffé, ne se donnent pas la peine de signaler, fût-ce sommairement, qu’elles ont pris acte de leur saisine, il arrive même que l’Elysée qui devrait représenter l’incarnation exemplaire du savoir-vivre républicain, soit en faute et sans réaction.