Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Nous sommes tous juges !

La vie elle-même, dans la plupart de ses séquences, évidemment professionnelles mais aussi d’ordre privé, nous confronte à des obligations de dire le vrai, de supporter l’imprévisibilité dure ou louangeuse des appréciations portées sur nous, à une forme de contentieux où successivement nous pouvons être des juges ou des victimes. Bien sûr qu’il convient de comparer – la comparaison étant souvent raison -, de ne pas occulter les ombres, de vanter les lumières, de ne pas faire semblant de placer tout le monde à la même aune, de refuser la facilité et la tromperie de l’hypocrisie.

Est-il honteux d’être chauvin à la carte ?

Je me découvre totalement inconditionnel de notre prodige Léon Marchand et de l’équipe de France de natation, avec Maxime Grousset et quelques autres. Il faudrait que je réfléchisse davantage à cette adhésion sans réserve pour ces sportifs de haut niveau qui n’ont pas de tenue que dans l’eau. J’adore ces talents, voire ces génies de la coulée individuelle mais qui, la course accomplie, se replongent avec modestie dans le collectif. Applaudis, ils applaudissent ensuite leurs compagnons. Il y a probablement, derrière ces contrastes qui m’habitent, le fait que dans certaines équipes je porte particulièrement au pinacle l’un de ses membres, Antoine Dupont ou Léon Marchand

Les politiques sont terriblement prévisibles…

De la même manière que dans la vie sociale, médiatique, intellectuelle, amicale, je ne supporte pas la prévisibilité de certaines opinions et formulations, parce que ma hantise de l’ennui domine tout, je suis de plus en plus frappé sur ce plan par la pauvreté du discours politique, au pouvoir et dans les oppositions. Comme s’il y avait un immense vivier à disposition et que droite et gauche n’avaient qu’à y puiser sans rien changer.(…) Il faudrait donc considérer qu’il y a une fatalité démocratique consistant à effacer les subjectivités libres et audacieuses au bénéfice de « perroquets » républicains seulement soucieux de ne pas sortir d’un sillon tracé de toute éternité ?

L’implacable lucidité des Français…

Le macronisme, structurellement gangrené par le « en même temps », fort avec les faibles mais sans vigueur contre les forts, cherchait à faire illusion en affichant dans son verbe une autorité régalienne pour tenter d’obtenir les soutiens qui lui manquaient. Derrière cette façade, l’implacable lucidité des Français n’était pas dupe et voyait la préoccupante réalité : un pouvoir de mots, une inaptitude profonde à prendre la mesure d’une délinquance et d’une criminalité ne cessant de croître avec, en certains quartiers, des communautés face à face où des minorités imposent leur loi bien davantage que la police qui ne peut plus les investir.

Médiocre et rampant, arrive-t-on à tout ?

Je pourrais citer plusieurs êtres qui, médiocres et rampants, sont arrivés à tout selon les critères classiques. En position de domination, en situation de maîtrise, validés par les applaudissements médiatiques, légitimés par la rumeur sociale, flattés par l’encens politique. Ils ne sont pas au sommet puisque pour ramper, il convient de le faire devant quelqu’un qui vous est supérieur. Et ils sont médiocres parce qu’ils manquent d’allure et d’intelligence mais aussi parce qu’ils n’ont pas su résister à l’envie de ramper pour arriver à tout. Enfin, à ce « tout » qui est leur aspiration à eux et qui sans doute pour d’autres représenterait à peine une avancée.

La police a tort mais vive la police !

La gauche et l’extrême gauche sont disqualifiées pour blâmer les forces de l’ordre. Elles ne savent faire que cela et quand on a osé crier en masse « tout le monde déteste la police », on se tait, on se cache ou en tout cas on n’intervient plus dans les débats publics où la police peut être discutée mais sans la haine de ces non-républicains compulsifs.

Ministre sous de Gaulle, comme j’aurais aimé !

Avec Charles de Gaulle, aussi bien dans sa pratique que dans son élévation, tant au fond que dans la forme, tant en raison de son passé que dans le présent où le peuple français l’avait maintenu aux commandes (lui n’avait pas peur de le consulter), dans une parfaite articulation entre le travail à l’Elysée et les sorties publiques, avec une éthique de la tenue et de la discrimination rigide entre dépenses de l’Etat et ses dépenses privées (les fameux goûters de l’Elysée !), tous ses ministres, à quelque moment que ce soit, n’avaient pas d’autre choix, de gaîté de coeur et d’esprit, que de l’admirer. De le percevoir, de le savoir, de le vouloir au-dessus d’eux non seulement par le sort de l’élection mais parce qu’il l’était et que cette supériorité évidente et reconnue créait un climat global de tenue, de rigueur et de qualité à nul autre comparable.

Une France réduite aux aguets ?

Le pire est que par contagion l’ensemble des processus politiques semble atteint, gangrené et qu’en effet une France de méfiance, aux aguets, quasiment caricaturale dans ses dérives, ses ambitions cachées, ses haines et sa « cuisine », a pris la place de ce qu’on aurait pu espérer : un pays d’allure, de grands espaces et de haute vision. Emmanuel Macron concocte ses petits plats au lieu de nous préparer le grand dîner du futur. La lutte des personnes s’est substituée à la recherche d’un destin collectif.

Avec Marine Le Pen, en 2027 pas deux sans trois ?

J’ose à peine évoquer un élément qui est si peu démocratique qu’on a scrupule à le mentionner. Si dorénavant on n’hésite plus à admettre qu’on va voter pour le RN, je ne suis pas persuadé qu’en revanche, au moment de glisser le bulletin dans l’urne, dans une France de plus en plus éruptive, où l’esprit démocratique s’appauvrit gravement, le citoyen n’éprouvera pas de l’angoisse face aux conséquences d’une victoire de MLP. Moins à cause du programme qu’en raison des orages prévisibles d’un pays n’acceptant pas la victoire du RN. Une France susceptible de continuer sur sa lancée violente d’aujourd’hui, pour un enfer demain ?

Tu verras, quand je serai vieux…

« Tu verras, quand je serai vieux » ne se veut pas un paradoxe mais, plaçant au premier plan un état enfin débarrassé de tout ce qui empêche d’être pleinement soi, souligne qu’il ne faut jamais regarder derrière mais toujours devant.

Emmanuel Macron : la monotonie de la surprise à tout prix…

De quelque côté qu’on se tourne, la propension du président de la République à ralentir quand on le souhaite rapide, à être indulgent quand on le voudrait sévère, à laisser les ministres et les choses en l’état quand on aspirerait à une verticalité décisive, à changer de conviction au fil des jours, des tactiques et des rapports de force alors qu’on l’aimerait fermement campé sur un socle stable et sincère, est éclatante. Elle le constitue tel un fugitif permanent de lui-même et un créateur d’étonnements pour les citoyens. À force de ne jamais être là où l’attend, il a perdu le bénéfice de la surprise. Il est tombé dans l’ennui d’une posture dont l’invention n’est plus spontanée, mais programmée : l’incongru est roi.

Nahel : être un délinquant n’est pas un crime !

La frilosité du vocabulaire concernant Nahel (âgé de 17 ans) apparaissait comme le comble de la dignité jusqu’au moment où, enfin, une députée Renaissance, Anne-Laurence Petel, exaspérée par cette euphémisation et sans doute beaucoup plus courageuse que ses collègues de tous bords, a parlé de Nahel comme d’un « délinquant », tout en ajoutant que rien ne justifiait sa mort.

Ils ne veulent pas venir à Lagardère…

Pour protester contre la venue de Geoffroy Lejeune (GL) avec tant d’obstination, ces grévistes, avec tant d’autres journalistes ailleurs, ont-ils jamais su s’échapper d’un deux poids deux mesures et faire preuve de solidarité à l’égard de TOUTES les publications victimes d’atteintes à la liberté d’expression ? Tant que cette équité élémentaire n’existera pas, on ne pourra que douter de ces résistances se fabriquant des dangers surestimés ou hypothétiques en occultant trop souvent les véritables menaces pesant sur les médias. Menaces qui tiennent plus à une corruption partisane et intellectuelle qu’à des pressions fantasmées de milliardaires intrusifs. Je crains que les grévistes, Lagardère étant venus à eux, continuent à refuser de venir à lui. On nous prive du JDD avec les pertes considérables que ce conflit engendre. Pour qu’il y ait une chance d’accord, créditons GL non pas de ses dons de gestionnaire mais d’une intelligence, d’une compétence médiatique et d’une intuition des rapports de force. Il les a.