Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Jean-Luc Mélenchon : bonjour les dégâts !

Le climat installé et instillé par JL Mélenchon, les pressions qu’il exerce pour que l’activité parlementaire ne soit faite que d’opposition systématique, de refus des consensus même les plus évidents, d’une sorte de prurit révolutionnaire en chambre plus grotesque et débraillé qu’autre chose, de chahut mêlant des députés malheureusement égarés et des militants ayant oublié qu’ils étaient députés, ont eu pour conséquences, notamment, de faire percevoir par une majorité de Français le RN comme « plus compétent et plus crédible » que LFI. Combattre le RN, sur le plan politique, sans s’attacher à stigmatiser l’un des ressorts fondamentaux de son avancée – LFI sous influence mélenchonienne – est aberrant, incohérent.

Un permis (de parler) à points ?

Par provocation, en faisant référence au permis de conduire à points, j’envisage qu’on puisse édicter un permis de parler à points qui, à chaque insanité publique, ferait régresser pour aboutir à une interdiction de s’exprimer durant une période déterminée. Le monde politique et médiatique, j’en suis certain, ne serait pas privé par la mise sous silence de quelques spécialistes de la parole indécente, partiale ou insensée.

Soutenir absolument Israël…

De la même manière qu’hier, on devait éprouver une indignation absolue face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine, il est moral bien plus que politique de dénoncer sans l’ombre d’une nuance les actes inhumains du Hamas. On aura le temps, plus tard, d’appréhender à nouveau l’ensemble des responsabilités dans cet interminable affrontement sans solution apparente entre Israël et les Palestiniens. Je ne doute pas que dès maintenant certains vont nous expliquer qu’Israël n’est pas innocent mais coupable de ce qui l’a frappé et tenir si bien la balance égale que les agresseurs et leurs monstruosités seront légitimés encore plus que leurs victimes.

Emmanuel Carrère a raison de prendre des risques…

Emmanuel Carrère, s’il avait pris le parti et, selon certains, eu l’élégance de prévenir les personnes de son entourage qu’il allait écrire sur elles, n’aurait plus pu le faire. Ou pire, il aurait été forcément tenté d’atténuer la roideur, la dureté du passé ravivé ou les effets implacables de sa sincérité. Une sorte de courtoisie l’aurait conduit à minimiser la réalité au profit de la bienséance. Pour être assuré d’être fidèle à lui-même, il convenait donc qu’Emmanuel Carrère, contraint d’écrire par surprise, fût prêt par avance à supporter les avanies de sa conception de la littérature, entre chien et loup, ombres et lumières, invention et réminiscence.

La volupté des combats singuliers en politique…

Ces combats singuliers réjouissent le commun des citoyens parce qu’ils incarnent la politique sur un mode très concret en la personnalisant, en la réduisant à des expériences, des affinités ou hostilités que chacun peut appréhender. D’une certaine manière, ils instillent dans une activité fondamentale pour la démocratie, une humanité, des liens de proximité, des affrontements particuliers, la rivalité d’hommes et de femmes qui sont choisis ou récusés pour ce qu’ils sont.

L’autre Goldman…

Le film est exceptionnel d’intelligence, de profondeur et aussi d’équité et d’impartialité. Le rythme, la qualité des échanges, leur intensité, les fureurs ou la froide rationalité de Pierre Goldman, son ironie cinglante, la présidence de la cour parfois dépassée, l’avocat général très mais par moments trop subtil, l’avocat partie civile pour la police, Me Garaud, l’avocat de PG, Me Georges Kiejman, aux débuts d’une carrière éblouissante, des acteurs, tous, sans exception, au sommet, font de ce film une oeuvre emblématique, au sortir de laquelle j’ai continué à considérer que la culpabilité de PG était évidente.

Le pouvoir : fascination, répulsion ?

Il y a forcément du contingent tandis que la manière dont un président construit son rapport de pouvoir avec lui-même, avec ses conseillers, ses ministres et le peuple révèle, sans équivoque, le tempérament, l’éthique, la plus ou moins grande aptitude républicaine de celui que l’élection a placé à notre tête. La différence tient probablement à la priorité que chacun de nos chefs d’Etat a assignée à son exercice du pouvoir. Pour de Gaulle, ce fut un devoir. Pour Pompidou, un métier. Pour Giscard, un esthétisme. Pour Mitterrand, un tour de force. Pour Chirac, un immobilisme. Pour Sarkozy, de l’action. Pour Macron, un narcissisme.

Si j’étais policier… (mais aujourd’hui ?)

Au-delà de mon soutien constant à la police quand elle use de sa force légitime comme elle le doit, et de ma condamnation de ses rares violences illégitimes, et de sa maîtrise, de son professionnalisme face aux innombrables refus d’obtempérer que des citoyens en faute commettent, je suis curieux de connaître si ma vision de 2010 est encore d’actualité ou si elle est devenue totalement dépassée aujourd’hui.

Après Stéphane Plaza, qui sera le suivant ?

Nous avons beau être saisis par les réactions souvent tardives des plaignantes, nous avons beau nous interroger sur le caractère collectif des doléances et des réclamations comme si, par une sorte de contagion, l’une ayant ouvert la porte de l’accusation, d’autres allaient suivre forcément, nous avons beau vouloir raison garder, ne pas constituer tout rapport de séduction tel un rapport de force, ne pas prendre systématiquement les femmes pour des fragilités livrées sans défense à l’appétit des autres, il n’en demeure pas moins qu’il y a dans notre stupéfaction, quand des noms tombent, comme l’amorce d’une intuition que nous aurions eue de longue date ! Notre société en est arrivée à un point où elle pourrait nous laisser penser qu’elle ne voue pas aux gémonies parce qu’elle voit juste et juge bien mais parce que stigmatiser est doux.

Le pape François ne rend rien à César…

En effet on pourrait banalement opposer au pape que ses belles leçons relèvent de ce qu’on doit rendre à Dieu mais que César, lui, a sa logique, ses droits et ses devoirs. Pour ce dernier, tout n’est pas possible. Les peuples ont de l’importance et sauvegarder l’identité d’une nation n’est pas honteux. Craindre que l’arrivée massive de migrants avec leur religion, leur mode de vie, leur inévitable instabilité, leurs différences « qui ne sont pas forcément autant de chances », dégradent profondément les humus nationaux n’est pas scandaleux. Certes il y a les réfugiés politiques mais combien de réfugiés économiques laissant s’immiscer dans leur flot quelquefois de troubles malfaisances et desseins terroristes, suscitent à juste titre l’impression, l’angoisse que la coupe de l’accueil est plus que pleine, qu’elle déborde, qu’elle crée des tragédies et des détresses, des misères, des illégalités en France comme dans quelques autres pays !

J’ai honte…

J’avais honte de moi parce que la probable absence de notre génial demi de mêlée ne quittait pas ma tête, renvoyant aux oubliettes tant de choses capitales. Je mesurais mon inélégance à l’égard de son excellent remplaçant Maxime Lucu. Bizarrement il y avait dans ma honte une étincelle d’étrange joie : le fait que quelqu’un puisse apparaître aussi indispensable, tellement nécessaire alors qu’il n’est rien qui ne soit révisable, critiquable, jetable. J’ai honte mais cela passera. Quand il reviendra.

Un roi à Paris pour faire oublier que la France va mal ?

Charles III va détourner notre hostilité à l’égard du président Macron et pendant ces trois jours, peut-être y aura-t-il comme une accalmie, du baume qui adoucira nos plaies, rendra secondaires l’amateurisme, l’inconséquence, les contradictions de nos gouvernants. Une sorte de petit miracle démocratique qui suscitera de l’indulgence, dans notre peuple frondeur, pour l’incarnation d’une continuité qui aura été rarement vulgaire, jamais médiocre. Paradoxal de constater comme ceux qui tournent en dérision notre présent sont aussi ceux qui jouent les esprits forts en se moquant des fastes du passé et des leçons que ce dernier devrait nous dispenser.