Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Une première : j’approuve Eva Joly…

Comment les citoyens de tous bords pourraient-ils être aux côtés des juges alors qu’ils sont sans cesse influencés négativement par le populisme anti-juges de certaines élites et la pression de médias engagés et vindicatifs à l’encontre de la Justice. À hauteur, souvent, de leur ignorance paresseuse de la matière. Il est plus facile de dénigrer les juges que de travailler profondément et objectivement sur les affaires. Comment, dans ces conditions, le peuple au nom duquel la justice est rendue pourrait-il respecter une institution vilipendée comme si elle créait elle-même les charges contre les personnalités publiques ? Comment, alors que médiatiquement on n’évoque que les dysfonctionnements judiciaires, les citoyens pourraient-ils se réjouir du fait que l’essentiel, en matière pénale, est traité normalement, voire remarquablement, et en créditer les magistrats ?

Le président trahit Emmanuel Macron…

J’ai quitté CNews plutôt convaincu par les opposants à cette future reconnaissance, et que le ministre Jean-Noël Barrot, chargé de l’expliquer, s’est confronté à une mission aussi impossible que celle de faire sortir Boualem Sansal de sa geôle par la voie diplomatique à sa manière. Bien sûr LFI a approuvé cet acte présidentiel en craignant qu’il ne soit pas mis en oeuvre en septembre à cause des fluctuations et revirements présidentiels. Je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver un haut-le-coeur quand Jean-Luc Mélenchon a utilisé l’adjectif « moral » pour justifier ce processus où le président d’aujourd’hui a trahi le Emmanuel Macron d’il y a trois mois.

Le macronisme s’est déjà tué lui-même…

Je ne doute pas que Bruno Retailleau a pour objectif principal de redonner à la droite dont il a pris la tête, fierté, audace, sincérité et moralité. J’insiste sur ce dernier point qui est l’angle mort de la politique française, tous partis, responsables, opposants, ministres confondus. La droite, comme le souligne BR, ne doit pas se contenter d’être un peu mieux ou un peu moins mal que la gauche, elle se doit d’être tout autre chose, indépendante et inventive.

Alexandre Soljenitsyne nous parle encore…

le dénominateur commun à toutes les faillites des politiques nationales et internationales mises en oeuvre est le défaut de courage, le courage pouvant être défini comme l’acceptation audacieuse de tout ce que la prise en compte du réel devrait imposer. Très souvent, si la réalité n’est pas perçue dans sa gravité entière, cela tient au fait que cet aveuglement relatif donne bonne conscience à tous ceux qui justifient ainsi leur passivité. Le paradoxe amer est que ce délitement des vertus humaines essentielles, dans la conduite des affaires publiques, à commencer par celle du courage, a eu pour contrepartie lamentable une dégradation totale de la civilité civique et politique avec la répudiation du dialogue vigoureux mais courtois et l’émergence d’une haine confondant la contradiction des idées avec la détestation des êtres.

La France : un Far West sans shérifs ?

Rien ne serait pire, comme la routine intellectuelle nous y entraîne, que de ne pas prendre la mesure de ce qu’il y a de terriblement nouveau dans les malfaisances. D’abord un changement radical du rapport de force. On ne résiste plus au policier, c’est le policier qui dorénavant résiste au délinquant. Ce dernier a pris la main. Il n’attend plus d’être interpellé, il prend les devants. Le fonctionnaire de police est un ennemi auquel on tend des guet-apens, qu’on veut blesser, qu’on souhaite tuer. Ensuite l’amplification des violences, des dégradations et des dévastations de groupes parce que l’union fait la nuisance maximale et qu’avec notre système de preuve infirme, elle protège chacun des transgresseurs derrière le caractère indivisible du collectif. Ce qui explique le peu de personnes déférées et la plupart du temps, quand elles existent, les sanctions ridicules – sursis ou travail d’intérêt général.

L’un sort de prison, les autres n’iront pas…

Georges Ibrahim Abdallah, criminel atypique contestant, malgré les preuves matérielles et balistiques, avoir perpétré ces forfaits, tout en admettant sa responsabilité politique – c’est bien commode ! -, a pris acte du caractère inespéré de cette libération puisqu’il a remercié la mobilisation qui l’a permise, et donc l’idéologie qui l’inspirait. Georges Abdallah n’a rien regretté des horreurs terroristes commises et il sera donc libéré comme il est entré : en plein contentement de lui-même et de ses crimes.

Les politiques désespérées sont-elles les plus belles ?

Le paradoxe est que sur ce constat dramatique – la dette augmente à chaque seconde de 5000 euros ! -, l’urgence de la situation de notre pays avec le risque, si on n’y prend garde, d’une immixtion du FMI, tout le monde s’accorde, quelle que soit sa position politique. Mais on refuse d’accorder le moindre crédit à la tentative honorable, techniquement négociable (FB l’a assuré), intellectuellement et socialement maîtrisée, ni maximaliste ni insignifiante, engagée par le Premier ministre pour relever à sa manière le défi des prochaines années. Reprocher à l’ensemble de ces mesures leur caractère superficiel n’est pas pertinent si on considère que c’est précisément ce refus de l’extrême qui constitue la force de ce projet. La nature équilibrée de ce dernier – rien de trop sur aucun plan ! – est son atout principal.

Thierry Ardisson : …et lumière !

La passion de la provocation de Thierry Ardisson, son envie permanente de créer de la surprise, projetaient comme une lumière sur le réel trop souvent monotone. Là où il passait, le banal s’effaçait. Ce n’était pas, comme chez tant d’histrions d’aujourd’hui, une pulsion vulgaire pour choquer et se distinguer de la multitude mais une disposition consubstantielle à son être, une inaptitude radicale à prendre la vie comme elle vient. Il fallait qu’elle se transformât au travers du filtre Ardisson. Des hommages sont rendus à sa personnalité, à sa formidable inventivité télévisuelle, à son intelligence qui lui a permis, derrière d’apparentes indélicatesses, de procéder à des entretiens profonds où ses invités bousculés n’avaient pas d’autre choix que de sortir de leurs sentiers battus et confortables.

Emmanuel Macron : après, ce sera trop tard…

Emmanuel Macron ne peut plaider que ses échecs ne dépendent pas de lui. S’il n’a pas été médiocre en matière de politique étrangère avec l’inconvénient, pour demeurer seul en majesté sur la scène internationale, de s’être délesté d’un ministre d’envergure, ses insuffisances sur le plan régalien, malgré ses voltes tardives et à cause de choix ministériels contrastés et aberrants, ne sont imputables qu’à lui seul. Aucune session de rattrapage n’a à être prévue en 2032 et il est de mauvais goût de laisser croire à un désir de lui au-delà du terme normal. Et de faire semblant de croire que l’exercice de son pouvoir, sur dix ans, aura été tellement gratifiant pour nous tous qu’une envie irrépressible de le voir revenir plus tard nous habitera.

Napoléon : l’orgueil du « fardeau »…

Marchant à Sainte-Hélène avec son amie Mme Balcombe, alors que celle-ci ordonne avec dédain à des esclaves portant de lourdes caisses de s’écarter, Napoléon s’arrête et, la regardant, dit : « Respect au fardeau, Madame » Dans ce terme « fardeau », il y a tout. La charge, la douleur, la peine, l’offense, l’humiliation, la violence. Il y a la fatalité de la servitude, la rage de l’acceptation, l’absence de révolte, le cours inéluctable de la vie et de la misère. Mais dans le « respect » que Napoléon exige, il y a l’orgueil du fardeau, la fierté d’avoir à assumer la part difficile de l’existence, le sentiment de n’être pas inférieur mais utile, nécessaire, la conviction que tous les mépris du monde se brisent sur cette certitude qu’on n’est pas rien, qu’on compte, et d’abord pour soi, qu’il y a de la grandeur dans son apparente petitesse et que la fatigue, l’épuisement résultant de telles tâches méritent le respect.

Et si on comprenait aussi les vivants ?

Je fais un rêve. Cette décence unanime à l’égard d’Olivier Marleix et de son geste apparemment imprévisible, serait-il donc impossible qu’elle se manifestât, certes sur un autre mode, à l’égard des vivants ? En considérant déjà cette élémentaire fraternité qui devrait réunir tous les mortels dans leur conscience d’être périssables et qui pourrait dominer tous les antagonismes conjoncturels ?

Mathilde Panot : on se moque ou on s’indigne ?

Soutenir que la police ne doit pas être armée ou, comme Jean-Luc Mélenchon hier, qu’elle tue, exiger le désarmement des polices municipales, le démantèlement de la vidéosurveillance, ce n’est rien moins que permettre à la part violente et dévastatrice de notre pays, où qu’elle se trouve, souvent en bande, de continuer à commettre le pire. Ce serait – contradiction fondamentale de LFI qui s’en affirme l’incarnation exclusive – abandonner le peuple sur lequel on prétend veiller et préférer son idéologie au réel, l’arrogance de se tromper plutôt que consentir à la vérité.

Jean-Luc Mélenchon n’en ferait qu’une bouchée…

Ce n’est pas à dire que Raphaël Glucksmann n’aurait pas certains atouts face à l’épouvantail Mélenchon mais si je confirme avoir peur pour lui, c’est que je mesure à quel point ses vertus pourraient être précisément son handicap. Il n’empêche que dans un univers politique qui me permet l’objectivité de la distance, je salue, par avance, la victime de qualité que sera Raphaël Glucksmann face au bourreau Mélenchon.