Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

« L’électorat juif vote à droite » : un honneur et une responsabilité…

Une fois que cet indéniable déplacement de l’électorat juif a été relevé, je ne crois pas que la droite de gouvernement puisse s’en satisfaire en se disant que « c’est toujours bon à prendre ». D’abord parce qu’il est clair que dans le climat actuel, ce bouleversement tectonique profite prioritairement à l’extrême droite susceptible de rassurer davantage la communauté juive par un discours plus manichéen, plus vigoureux. Elle n’était pas portée à donner naturellement du crédit à une conception qui avait plus peur de violer les interdits de la gauche que d’affirmer ses propres valeurs à la fois fermes et humanistes. Ce devrait donc être le premier objectif des Républicains que de détourner cet électorat juif d’une adhésion qui malgré les apparences serait stérile pour un double motif : l’extrémisme du fond, la difficulté d’une incarnation présidentielle.

Le wokisme joue petit bras !

Ce processus va continuer, cette dérive se poursuivre, la moraline se déverser sur les oeuvres d’hier, les plus belles réalisations, le génie humain des siècles précédents. Puisque nous sommes parfaits, au nom de quoi nous priverions-nous de juger les misérables qui n’ont su faire que des brouillons ?

Aujourd’hui on doit se contenter de peu !

Dans ce monde fou, qui pourrait faire la fine bouche et, au prétexte que les enthousiasmes nous sont interdits, ne pas égrener quelques petites joies ? Dans un univers qui, en France comme ailleurs, porte plus au désespoir qu’à l’allégresse, on me pardonnera donc, au risque de cultiver le minimalisme, de me satisfaire de presque rien, de piécettes susceptibles de redonner un peu le moral.

Le français est pour tout le monde…

Il est effarant de constater qu’au sein des classes qualifiées de supérieures, quel que soit leur champ d’activité dès lors qu’une expression publique est requise, une dégradation insensible s’est produite qui décourage les amoureux du français. Les politiques, les journalistes, les professeurs, les intellectuels, les chroniqueurs, les animateurs ou les artistes – personne n’est plus à l’abri, même dans ces catégories, d’une sorte de négligence, de paresse, de familiarité convenue.

Entre nostalgie et impuissance, une autre voie possible ?

Si on accepte d’emprunter une troisième voie, entre la nostalgie et l’impuissance, il y a la réactivité, le retour, le courage. On ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur notre démocratie, notre État de droit. J’éprouve parfois l’impression que la France est contrainte de briller avec des boulets aux pieds, avec le handicap de ce dont elle ne cesse de se glorifier sans jamais le questionner : ses valeurs, ses principes, la sophistication de ses instances judiciaires et administratives, de ses mille voies de recours, sa bureaucratie nationale alourdie par le byzantinisme européen, ce qui la rend admirable aux yeux de ceux qui ne lui veulent pas que du bien.

La Justice : un devoir d’ignorance ?

Il est choquant que l’inculture judiciaire ne soit pas perçue comme une honte mais presque comme une lacune de salubrité publique. Il est effarant que pratiquement jamais ce grand métier ne soit honoré comme il devrait l’être, et d’abord par les magistrats et le syndicalisme judiciaire. Il n’est plus tolérable que le seul mode, sur le plan du récit judiciaire, soit celui au pire du désastre et de l’impuissance, au mieux d’une sorte de découragement morose.

Le président a su quitter le « en même temps », bravo !

Aussi bien devant le Premier ministre israélien que face à Mahmoud Abbas, à la tête d’une Autorité palestinienne ne représentant plus rien mais incontournable dans le cadre d’une visite officielle, Emmanuel Macron a su, avec clarté, sans la moindre fausse note, en ayant pesé chaque mot – la moindre erreur aurait engendré les pires effets diplomatiques -, tenir une balance subtile, un équilibre délicat entre la barbarie absolue dont Israël avait été victime et l’apitoiement sur les souffrances, les morts et les blessés causés par sa riposte intense et durable contre le Hamas dans la bande de Gaza. Une balance subtile mais surtout pas égale.

L’enfant : à éviter ou à vouloir ?

Dans cet univers où le pessimisme et la morosité se présentent comme des signes de lucidité voire de sagesse, le désir d’un enfant, la volonté de faire surgir un petit être de plus dans cette France qui, paraît-il, va si mal, sont des manifestations d’un optimisme contre vents et marées, non pas niais ni béat mais confiant ; avec cette conviction qu’il y aura toujours quelque chose de plus puissant que la grisaille du quotidien et l’incertitude sur l’avenir : le futur incarné par un enfant.

Le 9.3 est en France !

Il n’empêche que si j’avais eu la moindre tentation d’un pessimisme absolu sur ce département, il aurait été balayé par ma visite. D’ailleurs cela faisait longtemps que j’étais agacé par l’alternative propre à beaucoup de propos et d’analyses sur le « 9.3 ». Le désespoir total ou l’optimisme exagéré. En effet il n’y avait vraiment aucune raison pour que ce département, les villes le composant, Noisy-le-Grand en l’occurrence, soient privés des dons ou des excellences existant ailleurs. J’ai toujours jugé un zeste condescendant le regard sur la jeunesse habitant en Seine-Saint-Denis qui n’est pas faite que de voyous, de drogués et de trafiquants mais aussi de talents, notamment pour l’oralité. Ni plus ni moins qu’ailleurs.

Heureux pour Ségolène Royal…

De sa part, je voudrais retenir cette pensée qui fait le lien entre la mère de famille et la femme de pouvoir : « Je suis tellement convaincue qu’il y a une façon plus aimante de gouverner la France ». Comme elle a raison ! Ceux qui rient ne comprendront jamais rien à ce qu’elle est, à ce qu’elle aurait pu apporter, à ce qu’elle espère offrir encore. Chez un homme, ce serait formidable mais pas chez elle ?

Le terrorisme est un rabat-joie…

D’une certaine manière les barbares qui veulent la peau de notre civilisation occidentale ont déjà remporté une première victoire capitale. Bien au-delà des dispositifs contraignants de protection et de sauvegarde, jamais parfaits, toujours perfectibles, qu’à cause d’eux, notre quotidienneté doit installer, ils ont réussi leur horrible pari : nous faire perdre la joie d’être ensemble, ce que j’appellerais la politique de la confiance. L’homme est devenu moins un loup pour l’autre qu’un suspect.

À un point du rêve : la fête est finie…

Le capitaine de l’équipe de France Antoine Dupont a délicatement mis en cause l’arbitrage et on peut d’autant plus faire fond sur sa critique qu’il a toujours été exemplaire sur le terrain et n’a jamais adopté le registre de la revendication permanente. Toujours est-il que, le 16 octobre, la fête est finie. Parce que nous étions à un point du rêve et que le destin ne nous a pas choisis. Qu’importe, l’avenir est ouvert.

Avons-nous le droit d’être encore légers ?

La malfaisance est illimitée, inventive pour le pire, elle ne s’assigne aucun frein, elle glisse forcément entre les mailles du filet qui ne peut être durablement protecteur, elle sévit à tout moment, elle n’a besoin que de son poison meurtrier et de sa cruauté inhumaine. Face à elle, nous avons une civilisation, un État de droit, dont la définition la plus sensée est de décréter que nos démocraties ne peuvent pas précisément TOUT se permettre, qu’elles sont, elles, limitées, entravées, vouées à réagir, jamais à anticiper. Le soupçon, aussi plausible qu’il soit, n’autorise rien : il faut attendre le désastre pour compter les morts et les blessés.