Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

La bienveillance, un gros mot ?

Cette conception sombre des relations humaines, qui fait fi de toute indulgence parce que les autres, s’ils n’ont pas forcément tort dans l’instant, sont cependant coupables d’une certaine manière. Ce qui autorise les êtres qui comme moi se complaisent dans les appréciations noirâtres à ne s’estimer jamais en faute parce que d’abord elles correspondent à ce dont ils ont besoin et qu’ensuite le problème n’est plus de savoir si autrui a été innocent mais quand et comment il a été coupable. Je vais dorénavant tenter de résister à cette amère dilection d’autant plus redoutable qu’on trouve toujours aisément de quoi nourrir une hostilité de principe qui ambitionne de s’exprimer toujours.

Il est trop tard !

Je me demande si derrière ce délitement républicain, la conscience qu’on a tous d’une France qui va mal, d’un pays qui chaque matin craint de nouvelles crises, d’autres polémiques, des scandales artistiques et des indécences de toutes sortes, quelque chose de plus grave ne nous affecte pas. Comme l’intuition que notre démocratie, avec ses conflits ouverts, apparents, est gangrenée par bien plus profond qu’elle. Que c’est moins d’options partisanes dont nous manquons que d’humanité et d’éducation.

Le RN en 2023 : une insupportable invisibilité…

L’une des explications essentielles de ce climat républicain si dégradé depuis la réélection du président est la difficulté qu’éprouvent ce dernier, son gouvernement, les Républicains, la gauche et l’extrême gauche à traiter le RN, aussi critique qu’on veuille être à son encontre, comme il devrait l’être dans le champ de la politique française. Alors qu’il n’est pas interdit, feindre de faire comme s’il l’était. Alors que des millions d’électeurs lui ont apporté leurs suffrages, les prendre de haut, voire les mépriser. Qu’on continue comme cela, et chaque jour fera monter le RN qui est devenu le réceptacle des colères et des désespoirs populaires.

Résister à Anne Hidalgo !

Qu’elle organise la résistance contre la saleté, les rats, les travaux interminables dont certains demeurent inactifs, les embouteillages massifs, la laideur qui vient dégrader une capitale que ses habitants ne reconnaissent plus et que ses visiteurs continuent d’admirer parce qu’ils ne connaissaient pas le Paris d’avant AH ! Qu’elle soit à la tête de la lutte contre la délinquance et la criminalité, contre les propos et actes racistes et antisémites, qu’elle sorte de la moraline verbeuse pour s’engager dans la voie d’une efficacité pragmatique et moins soucieuse d’idéologie que de la condition au quotidien des Parisiens ! C’est beaucoup lui demander puisqu’au fond cela revient à exiger d’elle qu’elle cesse d’être elle-même !

Marine Le Pen et Edouard Philippe trop pressés ?

Avec Edouard Philippe, nous aurions probablement une personnalité maîtrisée et courtoise et qui tenterait de faire oublier les décisions que Premier ministre il avait prises et qui n’avaient pas été sans susciter de vigoureuses oppositions. Marine Le Pen se ferait un plaisir d’enfoncer le couteau dans la plaie… MLP se verra imputer à charge ses fluctuations sur l’Europe, sur l’euro, son manque de fiabilité sur le plan international, le défaut de crédibilité de certaines de ses propositions et le hiatus probable entre ses engagements et la réalité qu’elle aurait à affronter et qui les ruinerait. Comme aujourd’hui en Italie pour Giorgia Meloni qui est devenue classique et donc acceptable et acceptée alors qu’elle avait promis de renverser la table. On ne renverse pas la table. C’est à peine si on l’aménage. Le dialogue entre EP et MLP tiendrait certainement, et ce serait nouveau, à un changement de tonalité. MLP ne serait pas appréhendée comme une ennemie de la République mais comme une adversaire politique dont l’élection serait désastreuse pour la France. Cela changerait tout mais ne modifie en rien mon point de vue sur la nouvelle et dernière défaite de MLP, à laquelle le suffrage universel préférera encore le candidat de droite « centriste ».

Plus personne ne fait l’Histoire !

Faire l’Histoire revient à ne pas se contenter d’un rôle de spectateur, d’observateur, d’acteur mais d’être animé par une énergie, une volonté de transformation et de métamorphose. Il y a sans doute, dans cette pulsion créative, une sorte d’orgueil nécessaire qui vous fait vous considérer comme supérieur au réel, en position de le dominer, de le dompter. Encore faut-il que l’Histoire donne rendez-vous à ces personnalités qui n’attendaient que son appel pour montrer de quoi elles étaient capables, comme elles étaient largement au-dessus du lot commun. Même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser.

Les gardes du corps contre les assassins de la pensée…

Autour de moi, les gardes du corps se multiplient auprès de mes amis. Jour après jour, j’apprends que des menaces de mort, des intimidations crédibles ont été proférées contre tel ou tel et à chaque fois cela fait surgir chez moi le même effet de saisissement. Dans quel monde, dans quelle France vit-on ? Dans quelle régression est-on tombé au point de vouloir assassiner la pensée en tuant ceux qui l’ont exprimée ? Qui aurait pu songer il y a des années à une dérive aussi épouvantable ? Ces gardes du corps auprès de mes amis m’apparaissent comme le deuil éclatant, ostentatoire, actuel de la douceur d’aimer, de vivre.

Gérard Depardieu : contre les lâchetés ordinaires…

Le citoyen est confronté à des embardées du jour à la nuit, d’une médiatisation indécente à force de surabondance à un étouffement tardif. Rien pour le juste milieu, pour les courages tout simples d’une humanité capable de s’opposer au pire, de résister à l’indignité, de se tenir prête à dénoncer quand il faut, à louer s’il y a mérite, à se taire si l’intimité est concernée. Rien qui vienne jamais nuancer, atténuer l’hypertrophie de l’origine, de sorte que la curée finale suscite une sorte d’apitoiement, sentiment qui n’existerait pas si un Depardieu ou d’autres avaient fait l’objet, tout au long, d’une attention qui ne soit pas gangrenée par le sens unique de l’idolâtrie.

Le RN en voie de normalisation, quelle honte !

L’acceptation sans la moindre complaisance de la métamorphose largement engagée du RN aboutirait à coup sûr à une pacification au moins formelle du climat républicain et n’augurerait pas d’une victoire de Marine Le Pen au second tour de 2027 : je maintiens qu’elle sera battue pour une troisième et dernière fois sauf si la cynique dérive clientéliste de Jean-Luc Mélenchon appelant le vote des cités, le fait advenir dans le débat final.

La Première ministre n’est pas à la hauteur…

Cette propension de la Première ministre à traiter avec froideur les enjeux régaliens (principale faiblesse du couple exécutif), malgré l’intensité tragique du climat national tant à cause du terrorisme que de la criminalité ordinaire, est révélatrice de ses limites. Elisabeth Borne apparaît plus préoccupée par des répliques politiciennes que par une argumentation profonde. Plus motivée par l’esprit partisan que par le souci de l’intérêt commun dépassant les fractures conjoncturelles.

Bataille ne gagnera pas la guerre…

La liberté d’expression ne doit pas servir seulement à la formulation de ses propres convictions mais qu’elle a pour fonction et comme honneur de laisser parler ceux qui ne pensent pas comme nous. Il était important d’énoncer cette évidence qui l’est de moins en moins dans un monde qui préfère la certitude péremptoire au doute enrichissant, le monologue sûr de soi au dialogue incertain et imprévisible.

Ne jamais croire un terroriste sur parole !

L’Etat de droit classique ne les concerne pas. Ils en profitent pour mieux tuer demain. La déradicalisation est un leurre. La folie est souvent un masque. Surtout, ne jamais, jamais, les croire sur parole.