Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Faut-il avoir peur de ses obscurités ?

Rien n’est plus absurde que cette peur de l’extra-ordinaire en nous. Alors que le « côté obscur » doit être perçu comme un facteur essentiel de cette plénitude à laquelle nous devrions tous aspirer. Cette dernière n’est pas moins recommandable quand elle se compose de cette part qu’il ne faut surtout pas exclure. Il y a en effet une grande richesse, pour le développement de soi, à identifier ce dont on pourrait avoir honte mais qui est indissociable de nous.

La droite ne « déteste pas » Albert Camus !

On sent Catherine Camus profondément agacée par les malentendus et les incompréhensions engendrés par la personnalité et l’oeuvre de son père d’Albert Camus. Sa sincérité, parfois roide et vigoureuse, fait du bien. Avec elle, on n’est pas dans le confit et la dévotion. Puis-je me permettre, moi qui suis un inconditionnel de Camus tant pour l’ensemble de ses oeuvres (j’y inclus le théâtre) que pour sa personnalité riche, complexe et profondément honnête, de discuter une affirmation de Catherine Camus : « La droite détestait mon père mais la gauche ne l’aimait pas non plus. Il était seul comme un rat… »

François Hollande, Eric Zemmour : mon duo paradoxal….

Eric Zemmour a mis moins de passion dans le débat, alors qu’hier il était capable de renverser des montagnes. Il m’a paru être à la fois absent et présent. Serait-il lassé de cette page de son existence ? Aurait-il la nostalgie de cette période où il était vanté, quoi qu’on pense de ses idées, pour son art de les exprimer et son aptitude à la contradiction ? Là où François Hollande est un absent qui n’aspire qu’à redevenir présent, Eric Zemmour est un présent subtilement tenté par l’absence.

Macron et Attal : lui c’est lui et moi c’est moi !

Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour percevoir « des tensions latentes entre Macron et Attal » (Le Monde) qui se distinguent de celles de nature purement politique qui opposaient le président à son ancienne Première ministre Élisabeth Borne. Avec Gabriel Attal, c’est plus subtil et, d’une certaine manière, plus dangereux. Comme nous ignorons évidemment la teneur des échanges entre les deux chefs de l’exécutif sur l’élaboration de la politique à mettre en oeuvre, sur les projets de loi à faire voter à tout prix et sur la stratégie générale (s’il y en a une au milieu des crises de toutes sortes) envisagée, nous n’avons pas tort de focaliser sur des divergences qui loin d’être dérisoires révèlent chez l’un et l’autre une conception très différente de la démocratie parlementaire.

Le jour du grand déballage…

Tout ce qui se déroule est une révolution. Cela ne signifie pas qu’il faille jeter la Justice par-dessus bord. Mais on n’appréhende pas une libération inouïe de la parole sans s’interroger. Peut-être ne l’ai-je pas assez fait, enfermé que j’étais dans une conception contentieuse sans percevoir que tout ce temps passé ne démontrait pas qu’on inventait. Mais seulement que le courage du grand déballage a enfin installé ses quartiers dans notre trop longue résignation, que le jour de la transparence absolue est venu.

Le RN : une menace dont ils ont besoin…

Les contempteurs compulsifs du RN continuent à croire à l’efficacité de leur croisade morale contre lui alors sur beaucoup de registres, notamment parlementaire, il est chaque jour démontré que la pauvreté de leur argumentation politique – j’y inclus la révolte des agriculteurs et des paysans – est la conséquence de cette facilité : croire qu’on répond à l’adversaire en le disqualifiant éthiquement au lieu de le pourfendre sur le fond. Pourtant, autant la première attitude est dilatoire, autant il y aurait de quoi nourrir un débat vigoureux sur l’essentiel qui relève de l’affrontement projet contre projet.

Un Emmanuel Macron entre oubli et regret…

C’est à chaque fois la même chose. Le même processus se déroule. Entre oubli et regret. Le président oublie qu’il est président puis regrette de l’avoir oublié. Il oublie, dans l’effervescence de l’empoignade, qu’il est président puis il se rappelle qu’il l’est et tente de conjurer, par des dénégations peu crédibles, la dégradation de son image présidentielle. Il y a quelque chose de lancinant dans ce mouvement qui se reproduit sans cesse et qui nous montre un président oscillant entre ce qu’il est vraiment et ce qu’il cherche à masquer. La nature de son être et la dignité de sa fonction s’opposent et je suis persuadé que dans un monde idéal il préférerait sauvegarder la première plutôt que respecter la seconde.

Ah, si Christophe Deloire avait aimé le pluralisme…

Le droit – pour lutter contre un progressisme délétère et une vision au pire occultant un réel aux antipodes de l’idéologie à privilégier ou au mieux le présentant hémiplégique – pour une pensée intelligemment conservatrice d’avoir un ancrage, une chaîne, une hiérarchie des sujets, une mise à l’honneur de la France profonde, une consécration du socle et du terreau ayant fondé notre Histoire et, pour notre pays, le culte de l’unité contre ce qui dilue son identité chrétienne et sa civilisation. Je ne vois pas au nom de quoi seule CNews serait privée de la liberté d’affirmer ce qui, ailleurs, est intensément et idéologiquement contesté, subtilement ou par un humour prétendu tournant à la dérision ostentatoire de nos valeurs et principes.

Qui tient la porte d’entrée ?

On surabonde en permissions, en interdictions, en exclusions, en ostracismes, en validations, en discriminations positives ou négatives, en censures, en provocations, en mises à l’écart ou à l’honneur. Sur tous les plans. Et je ne cesse de m’interroger. Mais qui donc tient la porte d’entrée ? Dans le domaine de la liberté d’expression, puisque la vérité n’est plus le critère décisif pour évaluer le propos, qui, médiatiquement, politiquement, va répartir le bon grain et l’ivraie, autoriser ici et fustiger là ? Qui sera l’arbitre incontesté entre le décent et l’indécent, entre ce qu’on aura le droit de penser et de dire ou ce qui devrait immédiatement mériter l’opprobre ? Qui va être assez légitime pour tenir la porte d’entrée ?

Emmanuel Macron est une girouette…

Comment ne pas approuver Gabriel Attal quand il énonce cette double évidence à la fois républicaine et pragmatique, que l’arc républicain est pour lui tout l’hémicycle ? En même temps vérité constitutionnelle et démocratique et affirmation empirique qui pourra lui permettre d’engager des débats et de favoriser des compromis avec des forces qui seraient peu enclines à dialoguer si par principe et absurdement on les excluait de l’arc républicain. Il est clair que le président n’a cure de cette justice républicaine ni de cette morale parlementaire. Qu’il rende plus difficile la tâche de son Premier ministre lui importe peu.

Bernard Cazeneuve : être avocat ne va plus de soi…

Cet inévitable lien, si contraignant, entre ce que le fil des jours va offrir à l’avocat et le discours qui va lui être dicté, quelles que soient les subtils variations et infléchissements suscités par son talent, est aujourd’hui la raison fondamentale du discrédit de la fonction de défense. Les vertus de liberté, de conviction et de sincérité sont aux antipodes de ce qu’exige la pratique de l’avocat. Il ne devient authentiquement lui-même que si, contre vents et marées, toutes les évidences des débats et des condamnations confirmées, il conteste encore et toujours avec cette seule prescription : mon client n’a pas commis ce qu’on lui reproche.

Robert Badinter : respect ou idolâtrie ?

RB, dont le destin fut à la fois tragique, un miracle d’intelligence et de réussite, une consécration officielle, un exemple pour la lucidité juridique et le droit international, l’énergie et l’obstination d’un militant pour une social-démocratie paisible et civilisée, en résumé superbement brillant et profondément humain. On accepte l’immensité des éloges si on ne nous prive pas des quelques piécettes de dénonciation. L’idolâtrie le statufie. Alors qu’il va bouger longtemps dans l’esprit et le coeur de ceux qui l’aiment, l’admirent ou le discutent. Dans tous les cas il sera vivant pour toujours.

Julien Denormandie serait bien partout !

En tout cas, pour qui est passionné par la psychologie des êtres, le courage intellectuel, la vigueur des idées et de leur structuration, la mesure de la forme, la modestie du ton et la nature du caractère, il est évident qu’on a l’intuition immédiate, avec Julien Denormandie, de la qualité d’un être. Précisément parce que celui-ci se dispense des éclats des Matamore et des provocations faciles. Et qu’il sait argumenter sans flatter ni mépriser. Parce que toute posture est refusée et que l’honnêteté domine, qu’aucune arrogance ne cherche à faire croire à une supériorité d’essence parce qu’il a connu le pouvoir et qu’il est très proche d’Emmanuel Macron.