Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Plus qu’assez de l’alibi des hommages nationaux !

Cet hommage national, animé par les meilleures intentions du monde, me semble pervers. Il occulte le fait que, si les deux agents ont été assassinés pour probablement permettre la fuite de Mohamed Amra, le pouvoir a toutefois une responsabilité : il est défaillant dans l’exercice de l’une de ses missions essentielles, protéger et punir. En ne favorisant pas le comportement le plus efficace possible des institutions régaliennes (forces de l’ordre, justice et administration pénitentiaire), sans leur fournir les moyens matériels et humains qui conviennent ni le soutien qu’elles méritent.

Jean-François Copé : c’est la dictature qui est naturelle…

Comme Jean-François Copé est pertinent quand, en suite de sa fulgurance sur le caractère « naturel » de la dictature, il projette la lumière sur l’édification contrainte, volontariste, toute de tension, d’énergie et de vigilance, du régime démocratique. Ce dernier, pour être réalisé, passe d’abord par une domination sur soi pour être au service de tous. Cette approche qui me touche autant qu’elle me convainc n’est pas seulement destinée aux États qui avec ostentation ou subtilité s’échappent de l’univers démocratique. Il me semble qu’elle devrait faire réfléchir celui qui est plus monarque que républicain à la tête de notre pays. Du citoyen au président, elle profitera à tous.

Pourquoi, quand on voit, n’ose-t-on pas dire ?

Les choses n’ont pas beaucoup changé depuis Jean-Paul Sartre : il s’agit toujours, et d’abord, de ne pas désespérer Billancourt. Donc, au choix, les cités, les musulmans, son camp, sa faction, les médias partisans, les inconditionnels qui ne supportent pas la liberté, les orthodoxes, les dogmatiques, le pouvoir en place, les amis importants, la pensée unique de droite ou de gauche ou pire, comme souvent sur le plan judiciaire, la pensée unique fusionnelle de droite ET de gauche… Tout ce qui est de nature à vous faire dévier de la ligne que l’idéologie impose, tout ce qui risque de vous faire traiter d’opposant et de dissident par rapport à la norme partisane…

LFI premier parti antisémite de France ?

Cette manière de confondre la partie avec le tout est offensante pour les quelques-uns qui à ma connaissance n’ont jamais tenu de propos honteux. C’est les accabler sous un opprobre partisan qui ne devrait pas les concerner. C’est aussi amplifier l’arrogance perverse du discours authentiquement antisémite, au sein de LFI et de la part de Jean-Luc Mélenchon pour des motifs principalement électoralistes, en laissant croire qu’il exprime la détestation éprouvée par l’ensemble de la France insoumise. Il ne faut pas tomber dans ce piège même si on attendrait de la part de ceux qui sont toujours demeurés dans la décence éthique et politique une expression plus vive de leur opposition.

François-Xavier Bellamy : de l’estime sans envie ?

Sans doute faut-il accepter cette rude leçon : on estime François-Xavier Bellamy, on peut même adhérer au message qu’il porte mais on n’a pas envie de donner plus à cette liste LR que ce que ses abstentions, ses variations et ses frilosités parlementaires, sa stratégie politique, avaient déjà réduit. Malgré un candidat qui fait honneur à la droite.

Tous orphelins de Bernard Pivot…

Nous sommes tous orphelins de Bernard Pivot dans la mesure où il n’est pas une émission et un homme qui aient su davantage inspirer la passion de la littérature, le goût des livres et de la lecture, la curiosité pour les écrivains et la dilection pour des échanges à la fois simples et de haute volée. Le rendez-vous de 21 h 30 le vendredi soir avec Apostrophes était sacré. Pour rien au monde la France n’aurait voulu perdre cette occasion unique de se rassembler dans une même cérémonie médiatique qui permettait une complicité totale entre un exceptionnel animateur, des invités de qualité, accordés ou divergents, et une multitude de téléspectateurs certains d’être partie prenante dans ce que la télévision proposait de mieux : un élitisme populaire, une culture raffinée et accessible.

Lui et… Elle…

On pourrait même, derrière l’exigence morale qu’il énonce et qui se fonde sur une approche relativement positive des pères, dont il souhaite qu’ils assument leurs responsabilités (à l’exception des géniteurs violents), relever l’ambition présidentielle de réparer l’immoralité, la médiocrité, les imperfections d’univers familiaux où la plupart du temps une mère seule avec des enfants est amenée à se battre dans la quotidienneté en l’absence d’un père indifférent ou irresponsable. Je mesure à quel point le président va être contesté, voire moqué pour cette réponse qui résulte à l’évidence d’une réflexion structurée : « Je suis pour que l’on revienne à une logique de droits et de devoirs, y compris pour les pères ». Qu’il inscrit dans le cadre plus général de l’égalité entre les hommes et les femmes. Si le président parle sans cesse et sur tout, il lui arrive de ne pas nous le faire regretter.

La classe politique en mots : chacun a ses raisons…

Les candidats pour le 9 juin : tous contre Jordan Bardella qui est forcément l’homme à abattre puisqu’il a creusé l’écart. Il a des faiblesses sur lesquelles ses adversaires ne l’attaquent pas assez, de sorte qu’il s’appuie sur ses forces, d’abord l’immigration et l’insécurité s’accroissant. Valérie Hayer estimable, compétente à Bruxelles mais dépassée. Marion Maréchal coincée entre l’obligation de s’en prendre au RN et l’envie de le ménager. Manon Aubry tentant de redorer un peu l’image de LFI en focalisant sur l’éthique européenne : elle a raison. François-Xavier Bellamy et Raphaël Gluksmann, si éloignés mais au fond si proches. Deux rationalités, deux esprits, deux honnêtetés contraintes de s’opposer mais presque à l’unisson. Sur l’essentiel qui est de rendre l’Europe forte et moins complaisante avec d’autres pays pour les droits de l’Homme. Si la politique n’était qu’une affaire de mots, un vaste aréopage, un forum urbain, nous ne serions pas en France si mal lotis. Aucune des personnalités que j’ai citée n’est méprisable même si certaines ne sont pas à la hauteur de l’excellente opinion qu’elles ont d’elles-mêmes. Mais la politique, c’est de l’action, du courage, de la morale se colletant avec le feu du réel, de la constance, le refus de la démagogie. De la grandeur et à la fois de la simplicité. Ce n’est plus se réfugier derrière l’édredon doux et ouaté du « chacun a ses raisons » mais plonger dans la vraie vie de la France et du monde.

Lâcheté générale, courages singuliers : une France qui n’est plus tenue…

Rien n’est facile et on ne me trouvera jamais aux côtés de ceux qui, vindicatifs et adeptes du « il faut qu’on… on n’a qu’à… », considèrent qu’il suffit de vouloir pour pouvoir et que notre démocratie est le régime rêvé pour tout réussir en temps de crise. Cela étant dit, comment ne pas être effaré par l’état de la France au quotidien, avec les multiples exemples qui nous sont donnés du délitement et de la faiblesse de notre nation, dans l’exercice du pouvoir, le rôle des institutions et le courage des directions ? Il y a une France officielle qui, à tous niveaux, va à vau-l’eau et n’est plus tenue. Comme si une lâcheté générale avait remplacé l’envie de résister. Comme si le « à quoi bon » avait remplacé l’optimisme de l’action.

Fanny Ardant a des fulgurances comme d’autres des banalités…

Fanny Ardant parlait de la pièce de Laurence Plazenet « la Blessure et la Soif », où elle est seule en scène au Studio Marigny. Elle en faisait la promotion d’une manière inimitable, avec cette voix unique qui rien que par sa sonorité et son articulation délicieusement voilée, donne à tous ses propos un tour original. Mais une fois évoquées la perfection de son oralité et de son langage, la qualité de la forme, il convient de s’attacher au fond dont c’est trop peu dire qu’il respire l’intelligence et distille de l’esprit.

LFI : Voltaire a bon dos…

Il est piquant alors, de la part de LFI qui exige à son bénéfice une liberté d’expression pleine et entière, sans la moindre entrave, d’entendre les mêmes, au nom d’une conception idéologique et hémiplégique de ce beau concept démocratique, réclamer contre ses adversaires censures, éradications, ostracismes. Faut-il rappeler Aymeric Caron laissant CNews être insulté et boycotté sans réagir à Sciences Po ? On a encore en mémoire la diatribe de Jean-Luc Mélenchon contre la même chaîne !