Justice au Singulier

Blog officiel de Philippe Bilger, Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole

Justice : quand les chefs n’en sont plus…

Dans leur traditionnelle audience solennelle, le premier président, Christophe Soulard, et le procureur général, Rémy Heitz, se sont seulement alarmés de « la justice en France qui va dans le mur ». Ils ont raconté une justice au bord du burn-out généralisé, et imploré le gouvernement de se doter d’un budget qui lui permette d’honorer les embauches prévues en 2025. Loin de moi l’envie de minimiser ces difficultés budgétaires mais il me semble que ce propos déprimant tenu par les deux plus hautes autorités judiciaires n’est absolument pas de nature à revigorer le moral d’une justice qui se plaît au dolorisme. Pire, il aura pour effet de détourner de cet indépassable métier toutes les jeunes énergies, intelligences et sensibilités qui pourraient être tentées de le rejoindre.

BHL : Nuit blanche, bonheur du jour…

J’avoue avoir ressenti comme une heureuse surprise ce BHL familier, presque prosaïque, sorti du ciel des idées et nous révélant, sans la moindre retenue ni volonté de se faire « bien voir », ses maux, ses faiblesses,ses limites, ses imperfections. Il échappe à ce qu’il pourrait y avoir d’artificiel dans ce type de narration, ne tombant jamais dans une sincérité faussement contrite ou un narcissisme feignant la modestie. Lui-même a dû, j’en suis sûr, éprouver comme une allégresse à ouvrir grandes les fenêtres du systématiquement sérieux, de l’implacablement grave pour s’abandonner moins à du futile qu’à une nostalgie pour une enfance, une jeunesse, des blagues, des joies collectives, des amitiés, des fraternités où le BHL d’aujourd’hui n’était même pas en germe.

Jean-Marie Le Pen : celui dont toujours il était interdit de dire du bien…

Ses extrémités choquantes ont beaucoup nui à sa crédibilité. Il s’en serait dispensé, il aurait été plus convaincant pour ce qu’il avait de prophétique… On continuera probablement, malgré sa mort, à faire comme si Marine Le Pen ne s’était pas détachée de lui et n’avait pas renié ses élucubrations historiques. Son souvenir demeurera aussi utile pour ses opposants que le repoussoir qu’il était de son vivant. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas avec de la haine et de la moraline qu’on fera baisser le RN mais avec de l’argumentation et de l’équité. En effet c’est en lui donnant équitablement ses chances qu’on démontrera ses faiblesses et son inaptitude. Je termine ce billet en songeant à cette part d’Histoire de France qui est morte avec lui.

Banaliser la pluralité judiciaire de Nicolas Sarkozy…

Devant ce procès du financement libyen, j’éprouve une double envie. D’abord celle d’une excellente administration de la Justice avec des débats faisant honneur à celle-ci. Je n’en doute pas, au regard de la réputation et de l’expérience de la présidente de ce tribunal correctionnel. Ensuite, celle de voir satisfaite mon intense curiosité à l’égard de l’argumentation des prévenus et de leurs ripostes aux accusations formulées contre eux. Quelle que soit, en définitive, leur portée dans la tête des trois juges. Quand le jugement sera rendu, j’en prendrai acte. Ni joyeux ni triste. Si NS est relaxé, j’approuverai la Justice. S’il est condamné, je lui ferai confiance.

Comment faire ?

J’ai bien conscience qu’il y a des univers encore plus difficiles à gérer que d’autres parce que leur logique est plutôt celle du silence et de la discrétion que celle de la transparence et de l’exhibitionnisme. Pourtant, en dépassant l’exemple de Jean-Noël Barrot, il n’est pas simple, quand le scandale est trop éclatant pour ne pas être dénoncé, dans ce monde feutré, ouaté, où d’une certaine manière l’hypocrisie est un outil de travail, de se révolter et d’affirmer que l’intolérable, l’indignité humaine le demeurent même quand les conventions dicteraient l’abstention… Mon tempérament capable d’excès sur ce plan m’inciterait à justifier, partout, quel que soit le secteur concerné, cette absolue et impérieuse exigence de vérité. En admettant que, si elle fait courir des risques, elle est en elle-même une telle valeur que tout devrait plier devant elle. Je suis cependant suffisamment lucide pour reconnaître qu’une telle conception poussée à la limite mettrait le monde à feu et à sang, sur ses registres géopolitique, international, national ou personnel.

Albert Camus : un manque que rien n’efface…

Si mon admiration pour Albert Camus ne cesse de s’amplifier, cela tient au fait que notre époque a plus besoin de lui que jamais. Les idéologues, les petits maîtres, les justiciers, les violents, les simplistes pullulent. Il nous manque parce qu’il n’était aucun de ces éradicateurs ni de ces inquisiteurs et qu’il aurait su si bien leur répliquer. On entend sa voix : elle dit tout !

Les dinosaures, les nains, les magistrats…

J’entends bien les objections à cette vision épique d’un service public dont l’honneur est de « raccommoder les destinées humaines » : on me reprocherait d’oublier le manque de moyens, la surcharge de travail, les dépressions et le quotidien pesant d’une profession dévaluée. Je ne tourne pas en dérision les plaintes, les gémissements, le corporatisme et l’obsession de la matérialité. Mais je ne peux supporter que l’essentiel soit relégué. Qu’il n’existe plus, dans la magistrature, la moindre personnalité emblématique pour placer et promouvoir, sur l’autre plateau de la balance, l’orgueil, pour soi, d’être juge, l’utilité, pour tous, de l’être. Ni nains ni dinosaures, juste des pacificateurs du quotidien et les protecteurs de l’innocence.

Voeux

Je vous transmets, pour vous et tous les vôtres, mes souhaits chaleureux de santé et de bonheur.

Impossible est français !

On devrait se féliciter d’avoir, avec cet authentique couple régalien voulu par le Premier ministre, le miracle politique d’un duo cherchant à s’échapper de la perversion nationale : les mots pour dénoncer et promettre, l’immobilité pour ne pas courir le risque d’échec par les actes. Aussi bien Bruno Retailleau que Gérald Darmanin, chacun à sa manière, remettent ainsi de la crédibilité dans un univers politique, de l’efficacité dans le comportement ministériel. Il n’y a pas de moyen plus sûr pour redonner confiance aux citoyens. Changer ce qui va mal et faire renaître « Impossible n’est pas français ».

Alain Delon, 132 jours après…

Delon, charmeur, sensible, susceptible, autoritaire, délicat, généreux, entier, reconnaissant, exigeant, perfectionniste, obsessionnel, orgueilleux, modeste face aux rares qu’il respecte et admire, patriote et gaulliste, sans concession sur ses valeurs et sur la conscience professionnelle, impitoyable à l’égard de ceux qui l’ont déçu, fidèle en amitié mais jamais en amour, dur avec sa progéniture, misanthrope au fil des années, solitaire, sarcastique sur le présent, magnifiant le passé dont il était le centre, un homme qui a vieilli diminué mais gardant son apparence fière et altière.

Enfin un vrai couple régalien…

Je ne pèche pas par naïveté. Une chance inouïe est donnée aux forces de l’ordre comme aux magistrats. Deux ministres de qualité, deux personnalités prêtes à entreprendre. Et qui ne seront pas désunies. Enfin un vrai, un authentique, un miraculeux couple régalien. Si j’ose, c’est Noël !

Marc Bloch, un héros d’hier pour aujourd’hui et pour toujours…

Alors qu’avec Emmanuel Macron, les panthéonisations – parfois contestables – sont décidées à bride abattue, celle de Marc Bloch offre le singulier mérite d’être approuvée par tous. Tant à cause de son passé héroïque que de la justesse de son diagnostic sur hier, qui vaut pour aujourd’hui et pour demain. Il met en évidence et blâme cette perversion française qui face aux dangers, aux épreuves, a souvent préféré l’aveuglement voire la lâcheté. Tout donc, sauf la lucidité et le courage.

Pourquoi je défends François Bayrou…

Parce que j’ai envie de rendre hommage, quelle que soit son issue, à une démarche fondée sur le refus absolu de la plaie française principale : le sectarisme et l’intolérance, et sur l’aspiration, rien moins que naïve, à ne pas imposer à notre pays une déperdition des énergies et des intelligences. Parce que François Bayrou, depuis tant d’années, n’a cessé de nous alerter sur le montant aujourd’hui colossal de la dette française et que sa lucidité le rend plus qu’un autre légitime pour tenter de résoudre une équation qui semble au premier abord insoluble : éviter la faillite du pays sans augmenter les impôts et en sabrant un certain nombre de dépenses sociales et de structures inutiles.