On dirait que la politique n’est plus qu’un discours de la méthode, un art du dialogue, une aptitude au compromis, une sainte horreur de l’autorité et une peur panique de la décision.
Les politiques, les Premiers ministres, semblent de plus en plus demeurer au bord de l’action. Comme s’ils hésitaient à sortir du flou et à entrer dans le dur, répugnaient à quitter virtualités et espérances pour s’engager sur le terrain des choix, donc des exclusions, et des actes.
François Bayrou comme Sébastien Lecornu ne sauraient être considérés comme des personnalités médiocres, bien au contraire. Elles n’ont pas eu le même parcours, elles ne se ressemblent pas et leur psychologie n’est pas la même.
Pourtant, à les écouter et à les lire, je ne peux m’empêcher de les trouver fidèles à une même conception de la politique d’aujourd’hui : on retarde plutôt que d’avancer, on tente d’impossibles, d’inconcevables ententes au lieu de débroussailler avec vigueur le maquis du réel, quitte à faire mal, à faire de la peine à certaines causes et à en privilégier clairement d’autres. On ne peut plus, en politique, piétiner en attendant le moment favorable : il ne viendra pas, il ne viendra plus.
L’entretien éclairant qu’a donné le Premier ministre à la Tribune Dimanche était très révélateur de cet état d’esprit d’actuel. S’il y avait quelques pépites relevant de refus sans équivoque et d’orientations assurées, l’essentiel tenait cependant à une maîtrise subtile du non-dit, de l’implicite délicat et de l’explicite prudent. Comme si on avait tellement vanté la technique supérieure du Premier ministre pour les arrangements, qu’il ne parvenait plus à s’échapper de ce processus ou qu’il sentait le risque imminent s’il osait s’aventurer dans l’audace.
J’entends bien que depuis la réélection du président de la République, pire, depuis la dissolution, il y a des contraintes impérieuses, notamment parlementaires, qui pèsent sur la vie gouvernementale et la démocratie au quotidien.
Sans doute, aussi, cette focalisation sur la forme est-elle la conséquence d’un fond de la politique qui est de plus en plus insaisissable, presque parfois illisible et opaque ?
Mais il n’empêche qu’au-delà de cette conjoncture éprouvante, un mouvement profond semble se dessiner qui voit les politiques, les titulaires du pouvoir demeurer au bord de l’action plutôt que d’entreprendre avec courage et résolution. Le souci du dialogue donne bonne conscience pour ne rien accomplir. Le délai de réflexion masque l’impuissance et fait croire qu’on domine le futur alors qu’on a peur de lui.
Il faudra que la politique, demain, de droite ou de gauche, réapprenne cette vigoureuse et exaltante qualité : accepter de décider, savoir trancher.