L’entre-soi : un confort ou un étouffement ?

Mon titre renvoie à une alternative que je ne cesse de vivre : un contraste entre mon existence intime et familiale et mon implication intellectuelle et médiatique. Pour la première, l’entre-soi me plaît. Pour la seconde, je ne l’aime pas du tout.

C’est un mystère dont la contradiction me perturbe.

L’entre-soi familial – pour mon anniversaire, nous étions presque trente, exclusivement enfants et petits-enfants – me donne l’impression que, si nous étions avec d’autres, introduisant dans notre cercle des idées, des influences, des caractères et des humeurs hétérogènes, mon univers perdrait de sa substance et de son identité.

Il s’agit d’une forme de confort et de tranquillité qui seraient altérés par l’intrusion de personnes extérieures. Alors que, pour beaucoup, leur sens de la sociabilité leur ferait voir tout apport étranger comme une chance, l’opportunité d’une authentique diversité, d’un rapprochement avec une humanité moins consensuelle et prévisible.

Cette dernière position est évidemment plus humaniste : ce qui vient d’ailleurs est salutaire et irrigue ce qui finirait par trop se ressembler !

Malgré mon désir, parfois, de me hisser à ce niveau d’ouverture, je ne suis jamais parvenu à me défaire de cette passion, dans ma vie privée, pour des globalités closes comme des oeufs, offrant la rassurante certitude de ne jamais provoquer le moindre dépaysement du coeur et de l’esprit.

Sans titre

Si j’étais cohérent, il me semble que, selon cette inclination, je devrais me féliciter de ces plateaux médiatiques, de ces communautés intellectuelles où l’entre-soi est roi, où rien de dissident ne vient s’immiscer dans cette concorde unanime où les pensées et les opinions ne s’échangent qu’avec celles de même nature.

Si j’étais comme mon être privé, un tel entre-soi médiatique, ne dédaignant pas, par ailleurs, de dénigrer les points de vue antagonistes, devrait susciter mon assentiment et ne jamais m’apparaître comme un étouffement. Pourtant, en m’examinant, j’éprouve encore plus de malaise devant cet enfermement sans recours que face à mon entre-soi intime qui serait dégradé par d’autres.

Comme si l’entre-soi intellectuel et médiatique, se rapportant à des idées, butait sur l’évidente limite d’une homogénéité sans faille, trahissait le principe de la liberté de l’esprit, de cette expérience renouvelée, à la légitimité sans cesse vérifiée, selon laquelle le heurt avec la contradiction d’autrui est la seule manière non seulement de vous préserver de l’enlisement personnel mais aussi de multiplier les chances d’un échange qui vous porterait vers le meilleur.

Rien n’est plus stérile que le contentement de soi singulier et pluriel avec lequel, trop souvent, l’entre-soi politique et médiatique est perçu, comme si le confort qu’il engendre n’était pas en même temps le signe d’une défaite. On est évidemment sûr de vaincre quand on n’a qu’à persuader des complices en convictions et en idéologie, la seule différence venant de la plus ou moins grande aisance dans la forme !

La tentation – qu’on ne s’y trompe pas – existe dans la sphère de la communication largement entendue de donner au pluralisme le sens le plus étroit possible parce qu’une vraie contradiction dérange et qu’il y a une douceur certaine à se sentir au chaud dans des groupes à peine séparés par des nuances.

Ce billet ne me permettra pas de dépasser ma contradiction entre privé et public, mais au moins de mieux la connaître et de l’assumer. Et, au mieux, de moins raffoler du confort !

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Voir les Commentaires (1)
  1. Cher Philippe Bilger,
    L’Heure des pros, malgré la qualité des intervenants, est un bel exemple d’entre-soi médiatique. Chaque chroniqueur se contente d’apporter sa pierre au contenu et à l’orientation du message fixé par Pascal Praud, sans qu’il y ait de véritable contradiction sur le fond.
    Il serait urgent d’inviter – sans les ridiculiser ou les houspiller comme c’est trop souvent le cas – des intervenants ne partageant pas la même opinion. Voilà qui obligerait chacun à sortir de la paresse et du confort intellectuels qu’entretient l’absence de véritable débat.

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