La loi comme repoussoir…

La culture anglo-saxonne a toujours perçu la loi comme une garantie, une protection. La France, même dans les temps ordinaires et plus paisibles qu’aujourd’hui, l’a appréhendée comme une menace, un risque. Ce contraste, longtemps, ne révélait que les différences entre deux modes de pensée, deux façons de vivre ensemble, deux rapports à l’État de droit.

Notre pays se focalise sur l’État quand l’autre culture privilégie le droit.

On peut considérer que cette opposition entre tempéraments collectifs n’a pas eu d’effets négatifs tant que la loi demeurait, peu ou prou, un critère, une référence, quel que soit le regard favorable ou critique porté sur elle. On la respectait ou on la violait. Dans le premier cas, avec une évidence et un civisme incontestables ; dans le second, avec mauvaise conscience.

Ce qui a radicalement changé aujourd’hui, c’est que la loi est devenue un repoussoir. J’ose espérer que la profession de magistrat reste encore celle qui se flatte de fonder ses pratiques sur l’observation de la loi, mais à vrai dire je n’en suis même pas sûr. Parmi les juristes patentés, sur des thèmes importants, les controverses et les interprétations divergent, mais au moins ces joutes ne sous-estiment pas l’importance de la loi. Elles en relativisent le caractère universel, d’autant plus que chaque pouvoir politique ressent l’obligation de supprimer les précédentes pour faire place nette aux siennes.

Plus gravement, je suis frappé de constater que, chez ceux dont on devrait attendre un respect absolu de la loi – de quelque source qu’elle émane -, on observe le comportement contraire. C’est devenu une mise en cause systématique, qui n’éprouve même plus le besoin de se justifier mais se glorifie, par cet anarchisme au quotidien, de violer ce qui pourtant devrait constituer le socle commun d’une nation encore un peu soucieuse de son unité.

Les réactions furieuses après l’instruction donnée aux préfets par Bruno Retailleau d’interdire le drapeau palestinien au fronton des mairies, ont été très significatives. Non seulement on a contesté absurdement sa validité, mais des députés dont on aurait pu attendre plus de légalisme – je songe à la députée LFI Clémence Guetté – se sont vantés de transgresser cette prohibition, comme s’ils accomplissaient un acte de courage alors qu’ils mettaient à mal une certaine culture démocratique.

Je n’évoque pas la multitude des actes délictuels, des accommodements douteux, qui relèvent d’une malfaisance consciente et organisée, qu’ils émanent des politiques ou de la société civile.

La loi vécue comme un repoussoir aujourd’hui, par des personnalités dont la qualité républicaine devrait être indiscutable – et d’abord par le respect de la loi parce qu’elle est la loi -, a pour conséquence désastreuse de fragiliser la répression, au nom de la loi pénale, à l’encontre des délinquants et des voyous. Ceux-ci se permettent d’invoquer, le plus sérieusement du monde, le caractère relatif et contingent de cette dernière, puisque d’autres transgressent la loi sans jamais être punis. C’est une argumentation qui ne devrait pas valoir tripette, mais il n’empêche que le délitement de la loi et des obligations qu’elle prescrit va, à mon sens, se poursuivre.

D’autant que ce mouvement va de plus en plus s’étendre qui place l’individu, ses humeurs, ses exigences, bien au-dessus de la loi et de sa définition théoriquement universelle. La loi ne protège plus l’individu, elle l’entrave.

Il faudrait un pouvoir vraiment et totalement exemplaire, persuasif par son excellence même, pour espérer un redressement de l’image de la loi.

Un facteur d’unité, plus qu’un prétexte à discorde.

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  1. Marc Ghinsberg

    Vous critiquez régulièrement l’État de droit tel qu’il existe aujourd’hui dans notre pays. Pourtant, vous déplorez que la loi soit perçue comme un repoussoir. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

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