Je sais, je suis naïf…

Avec ce titre, je ne prétends pas m’inventer une nouvelle personnalité. Mais il m’est souvent arrivé, au fil des échanges et des débats, malgré mon naturel pessimiste, de m’obliger à une part de naïveté envers les êtres et les choses – surtout en politique. Sinon, l’univers risquerait de devenir irrespirable.

On approche de l’anniversaire à la fois tragique, déchirant et recueilli du 13 novembre 2015.

Je viens de lire, dans Le Monde, une double page admirable de Raphaëlle Bacqué : « Au Bataclan, la jeune femme enceinte et son sauveur ».

Ce n’est pas la première fois que je suis saisi par la grandeur et la noblesse de certains actes qui portent au plus haut l’honneur d’être humain et relativisent, dans la folie du monde, tout le reste. Mais j’avoue n’avoir jamais autant ressenti ce gouffre entre l’essentiel et l’accessoire – même le plus sérieux de la Terre – qu’en lisant le récit de cette soirée terrifiante où un jeune homme, Sébastien Besatti, a tendu la main à une jeune femme prénommée Charlotte, qui s’agrippait à la corniche d’une fenêtre pour fuir les terroristes.

Et qui juste avant, suppliait « les ombres en bas, cachées sous une porte cochère » : « S’il vous plaît, je suis enceinte, s’il vous plaît, je vais lâcher… »

Charlotte a déclaré que « le Bataclan ne fait pas partie de ma vie, mais Sébastien, oui ».

Je comprends qu’on puisse me tourner en dérision lorsque, à partir de cette émotion fondamentale que j’ai éprouvée face à ce couple sorti victorieux de l’enfer, j’ai la prétention de soutenir naïvement que, pendant un instant, plus rien d’autre n’a d’importance. Qu’il conviendrait juste de se rappeler – et d’imaginer – ce qu’a dû être l’effroi, l’angoisse, le désespoir, puis l’espoir fragile, la main qui secourt, le courage, l’insurmontable envie d’échapper aux tueurs, la volonté de sauver leur vie ; et le destin basculant enfin, grâce à eux, du bon côté.

Cet extraordinaire concentré de tout ce que l’humanité a connu de plus atroce, de plus abject, mais aussi de plus magnifique, de plus héroïque, de plus solidaire, dans une soirée à nulle autre pareille, m’a, je l’avoue, dissimulé tout ce qui, depuis des semaines, nous agite, nous oppose, nous bouleverse, nous indigne et nous paraît capital.

La condamnation de Nicolas Sarkozy et ses suites, la recherche d’un budget, les quatre activistes pro-palestiniens – dont l’un est fiché S – exprimant leur haine faussement politique, vraiment antisémite, leur défense par LFI, le RN au plus haut dans les enquêtes d’opinion, un maire de New York qui fait peur, des défaillances judiciaires qui devraient remettre en lumière l’exigence de responsabilité des magistrats, les démocrates qui montrent que Donald Trump n’est pas irrésistible, Javier Milei qui l’a emporté malgré l’aveuglement français, une Algérie qui n’est pas mécontente de Jean-Noël Barrot, un président de la République qui supporte mal de n’être plus écouté par personne et qui, pour fuir son présent détestable, songe déjà à son futur éloigné…

Cet inventaire partiel, avec ses enthousiasmes, ses dilections, ses éructations, ses adhésions ou ses stigmatisations, je peux dire sincèrement que je l’ai oublié. Il est passé au second plan de ma mémoire.

Parce que le monde, c’était  » la jeune femme enceinte et son sauveur », cette sauvegarde miraculeuse, ce souffle de vie préservé. Ces instants sont devenus, pour moi, l’espace de quelques secondes, l’existence tout entière. Et naïvement, je me suis mis à espérer que tous, en France, partagent mon sentiment : que l’important apparaisse futile, les antagonismes dérisoires, la haine indécente, les hyperboles et les inconditionnalités ridicules. Parce qu’il y avait eu cet épisode tragique, magique – comme, aujourd’hui, une opportunité de concorde, une chance d’unité, une espérance inouïe.

Naïf ? Oui. Mais quel bonheur de se purifier la pensée, l’âme et le coeur !

Merci, Charlotte et Sébastien.

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