Le hasard des vacances, dans d’autres demeures, familiales ou amicales, fait que parfois on lit avec retard des hebdomadaires dont certains articles vous saisissent. C’est ce qui m’est arrivé en lisant un Nouvel Obs du 1er mai 2025, avec un texte de Grégoire Leménager (GL) dont le titre est « Fallait-il exécuter Robert Brasillach ? » (RB).
Cet écrivain, fusillé en 1945 pour intelligence avec l’ennemi, m’avait passionné dans ma jeunesse, comme, sur un autre registre profond, mélancolique et suicidaire, Drieu la Rochelle. Mon livre sur RB – « 20 minutes pour la mort » – était une manière de me mettre au clair avec cette trouble admiration pour la dignité de sa mort à la suite d’un procès honteux. Accompagnée d’un sentiment d’horreur à la lecture de ses écrits de journaliste politique au cours d’une période où, à défaut d’héroïsme ou de vraie résistance, l’abstention était un minimum.
Lisant l’article de GL, je n’ai pu m’empêcher de songer à ce propos de Jean Genet : « Je ne me moque jamais, j’ai trop à faire d’aimer ou de haïr ». C’est précisément la moquerie, presque la dérision imprégnant l’analyse (si l’on peut dire) de GL qui m’ont perturbé. Tous les sentiments ont droit de cité pour appréhender la destinée singulière de RB, brillant critique littéraire à 23 ans puis fasciné par le nazisme « immense et rouge » au point de s’abandonner au pire du journalisme partisan et haineux, avant d’être arrêté, alors qu’il aurait pu fuir. Il manifesta durant son procès une allure que personne ne lui a déniée (même ses pires ennemis comme Madeleine Jacob ou Simone de Beauvoir), avant de mourir courageusement à l’âge de 35 ans.
Au-delà de ce parcours, aussi répréhensible qu’il soit, je suis gêné par la condescendance avec laquelle GL traite l’oeuvre de RB. Ses romans ne sont pas que « médiocres et sentimentaux » et un point de vue plus objectif aurait été bienvenu. « L’anthologie de la poésie grecque », son « Pierre Corneille », « L’Histoire du cinéma » (écrite avec Maurice Bardèche), son Chénier, les poèmes de Fresnes (qui n’ont rien à voir avec « de la poésie faussement naïve ») auraient justifié, même de la part d’un critique littéraire de gauche, des appréciations élogieuses.
Sur le plan idéologique, certaines phrases, pour être littéralement odieuses ou furieuses, sont en plus détachées de leur contexte et rien, dans ce qui à la fin de cette courte existence aurait pu venir nuancer sa malfaisance politique, n’a été même effleuré par GL.
La démarche de sauvegarde (pour empêcher qu’il soit exécuté) initiée par François Mauriac, Marcel Aymé et Jean Anouilh (dont l’expérience de la vie en a été affectée pour toujours), est narrée sur un mode léger, presque désinvolte. Il est fait référence à André Gide dont l’appréciation sur le futur qu’aurait eu RB s’il avait été gracié est très discutable.
Sont passées sous silence la lâcheté de beaucoup (Colette ne voulait pas être la première sur la pétition demandant la grâce !) et la déclaration d’Albert Camus la signant par détestation de la peine de mort alors qu’il assurait que RB ne lui aurait pas rendu la pareille s’il avait été condamné à mort.
De cet article, se dégage une impression de malaise comme s’il avait fallu, après l’avoir fusillé, exécuter RB une nouvelle fois, mais médiatiquement.
Je relève qu’un seul livre est cité, celui d’Alice Kaplan dont le travail de documentation est impressionnant mais la vision judiciaire guère critique. GL aurait dû mentionner l’ouvrage de Michel Laval, aux antipodes de toute moquerie et qui aborde avec gravité et intelligence la problématique questionnée par GL et y répond positivement.
On a beaucoup glosé sur le refus de la grâce par le général de Gaulle, alors que François Mauriac avait quitté leur entretien relativement optimiste. Sans doute y a-t-il eu des motivations diverses à cette dureté. Le paradoxe est qu’en 1938, RB lui-même avait considéré qu’un intellectuel ne pouvait pas être exonéré par principe du châtiment suprême en raison de ses seules idées et dénonciations vaincues par l’Histoire.
Résumer RB aujourd’hui en le qualifiant « d’icône de l’extrême droite française » est tout de même un peu court. Alors qu’on continue à avoir dans la tête sa réplique » c’est un honneur » à quelqu’un ayant crié, lors de sa condamnation à mort : « c’est une honte »!
Je constate, pour m’en réjouir, que sur le plan de la tolérance, du pluralisme et de la justesse, il n’y a pas l’ombre d’une comparaison possible entre la gauche engagée et médiatique et les médias conservateurs. Comparons la magnifique série du Figaro, totalement ouverte, par exemple consacrée à Antonio Gramsci, avec cette piètre recension moqueuse de RB par GL.
Il manquait, d’abord, l’honnêteté. Et, si on suit Jean Genet, l’amour ou la haine.
Bravo, chronique très courageuse.
Merci.
Ce pauvre Leménager est un critique bizarre. Il a fait des tonnes de compliments pour Leïla Slimani qui a commis une piteuse saga franco-marocaine (je me suis arrêté au premier volume). Il aurait dû lire et apprécier le thème original qui l’inspira : il est dans « La Conquérante » de Brasillach, en mieux écrit et plus authentique que chez la doublure.
Mais à quoi, cher hôte, vous attaquez-vous ?
Dans une France tenaillée par un espoir de cataclysme politique et la crainte de perdre son petit rosé de midi, parler de Brasillach ? Même après un article de petite facture, très petite.
Vous heurtez en pleine face la déculture française, engendrez un sourire de mépris sur les lèvres gercées de l’Educ Nat qui a tant aimé Lénine et Staline, vous faites souffrir les 96 % de réussite à la « bacca laurea », avec fautes d’orthographe et prétention à l’emploi à vie.
Voilà la raison du dédain affiché par l’auteur de l’article en cause. Hors de portée Brasillach.
Non, il ne s’agit pas d’en faire le panégyrique ; il est indéfendable.
La phalange qui s’est levée pour sa défense représente l’intelligence, malgré les tentatives de se défiler. La raison et la préservation d’un esprit amendable ont animé la défense, la prise de position de M. de Gaulle, général de son état, est arithmétique. Comme pour l’octroi de couvertures supplémentaires au vieux Maréchal emprisonné.
Le calcul politique est évident et naturel : n’est pas Auguste qui veut. En outre, je ne suis pas sûr que de Gaulle ait été animé par un profond amour de la France car, s’il en était ainsi, il n’aurait pas fait tressaillir de joie les jeunes de 1958 par son ignoble et magnifique « La France, 60 millions de Français, de Dunkerque à Tamanrasset » et fabriquer, en quatre ans, un des pires ennemis de la France : l’Algérie.
Robert Brasillach a payé ses outrances, ses horreurs, cancers de son talent : le peuple français, étranger à toute cette comédie, n’y a rien compris, et c’est pour cela que le journaliste que vous citez a pu faire un article consternant sur un sujet qui appelait l’évocation du meurtre de Caesar, la soumission de Clovis, la Chanson de Roland, le sort de Lavoisier et « l’assassinat » du duc d’Enghien.
Il eût fallu un Talleyrand pour rappeler que cette exécution n’était pas un crime, mais une faute.
« Résumer RB aujourd’hui en le qualifiant « d’icône de l’extrême droite française » est tout de même un peu court. » (PB)
Oui, qui donc à l’extrême droite française lit encore RB, à part PB ?
(Cum grano salis, qu’il me pardonne cette promotion éventuellement non désirée…)
Hors sujet.
Pardon d’utiliser le billet sur Robert Brasillach pour remercier tous les lecteurs de Monsieur Bilger, même ceux que je n’avais pu nommer, car la liste est longue au fil du temps, pour leurs messages chaleureux et bienveillants.
Je ne m’attendais pas à tant de témoignages car Ugo avait souvent la dent dure et pouvait irriter ses interlocuteurs.
Je vous remercie tous avec beaucoup d’émotion et tiens à préciser pour ceux qui se sont étonnés de son âge qu’il allait avoir quatre-vingt-deux ans…
Merci.
« Doit-on se moquer de Robert Brasillach ? » (PB)
Il ne me viendrait pas à l’idée de me moquer de Robert Brasillach, l’antisémitisme n’étant pas un sujet particulièrement drôle.
D’ailleurs je ne connais rien de ce monsieur, ni ses œuvres, ni les articles qui lui ont été consacrés par des érudits ou présumés tels. Rien ! Et je ne pense pas que commencerai un jour à m’intéresser à ce personnage.
Je constate simplement que cet intellectuel sulfureux n’est pas mort dans les esprits et que l’antisémitisme refait son apparition comme au temps de l’Occupation.
La différence est que celui-ci n’est plus le fait de l’extrême-droite (*), avec LFI en porte-drapeau. Mais que ces gens-là se rassurent, ils ne risquent plus la peine de mort.
(*) Encore qu’en cherchant bien, on doit pouvoir encore trouver des antisémites d’extrême droite. De vieux pétainistes impénitents…
Cher Philippe, comment vous, chroniqueur régulier à « L’Heure des pros », pouvez-vous écrire ceci : « Je constate, pour m’en réjouir, que sur le plan de la tolérance, du pluralisme et de la justesse, il n’y a pas l’ombre d’une comparaison possible entre la gauche engagée et médiatique et les médias conservateurs. »
Vous êtes bien placé pour savoir qu’il est difficile d’apporter dans cette émission, non pas la contradiction, on n’en demande pas tant, mais ne serait-ce que la nuance par rapport à la doxa ambiante.
Comment par ailleurs pouvez-vous établir un parallèle entre Robert Brasillach et Gramsci ? Le premier, quels que soient ses talents littéraires, a écrit des horreurs, le second a été un des plus grands penseurs de son temps. Marxiste hétérodoxe, il a notamment théorisé en captivité sa thèse de l’hégémonie culturelle qui a inspiré beaucoup de politique de droite, y compris dit-on, des conseillers d’un ancien président de la République française.
On voit bien comment la droite a pu être inspirée par Antonio Gramsci. On voit mal ce que Robert Brasillach pourrait apporter à la gauche, sinon cette question vertigineuse : comment peut-on devenir Robert Brasillach ?
Brasillach se lit toujours avec plaisir.
Au moins, n’a-t-il pas été gâché par la vieillesse et les honneurs.
Merci à notre hôte d’avoir choisi cette respiration en temps de canicule.
Je n’ai jamais lu RB. Je ne suis pas à même d’apprécier en quoi que ce soit son possible talent d’écrivain. J’acquiesce par défaut à l’idée qu’on puisse reconnaître des qualités à des personnes que par ailleurs on déteste.
Par exemple, Emmanuel Macron et son épouse, je les déteste mais pour autant je leur trouve des qu……, ah ben non, mauvais exemple.
Je cherche.
J’ai beaucoup apprécié votre petit livre sur le sujet. Surtout pour ce qui concerne maître Isorni et l’infâme Reboul. Voilà un bon exemple, maître Isorni, dont je ne partage pas les convictions, loin s’en faut, mais qui était courageux, engagé, des qualités que ne possédait pas son adversaire dans la cour. Hurlant avec les loups, pendant et après la guerre.
De Brasillach je n’ai lu que « Histoire de la guerre d’Espagne », écrit avec Maurice Bardèche.
Ce livre avait été achevé en juillet 1939 alors que la guerre n’était finie que depuis avril de la même année.
Les deux auteurs ont à peine 30 ans et dénombrent les mouvements de troupes et les exactions des deux côtés.
De formation maurrassienne, leur préférence ne va pas au camp républicain, mais leur narration apparaît plutôt impartiale d’autant que si la victoire de Franco est acquise, ils voient que l’avenir de l’Espagne est lourd d’incertitudes.
Je recommande cet ouvrage écrit dans une prose de haut niveau.
J’ai avoué n’avoir lu ce livre que lorsque celui de Pio Moa, ex-communiste espagnol, est sorti, achevant ainsi de mettre à bas le mythe de la guerre d’Espagne.
Très beau billet, Monsieur Bilger, et surtout courageux dans le climat actuel.
Robert Brasillach a fait ses choix et les a assumés jusqu’au bout. En cela, même fusillé, il s’est comporté en homme courageux, même si son choix partisan de l’Allemagne nazie est impardonnable pour un Français après la défaite de 1940. Le refus de sa grâce par le général de Gaulle était en ce cas logique et cohérent. Sa qualité d’intellectuel ne pouvait selon moi atténuer les propos qu’il a tenus pendant toute la période de l’occupation allemande de notre pays.
@genau | 11 août 2025 à 19:16 a, à mon sens, fait un excellent commentaire. Son incise sur le général de Gaulle de 1958-62 par rapport à l’affaire algérienne est une appréciation à la fois abrupte et réaliste.
Cela me rappelle que mon père m’avait dit avoir, dans l’immédiat après-guerre en Algérie, gardé un camp d’anciens de la LVF dans lequel se trouvait le propre neveu de Maurice Thorez…
Un écrivain collabo suintant de haine antisémite, qui a encouragé et encensé servilement le nazisme. Eu égard à sa notoriété d’écrivain, complice par sa plume féroce et chargée au vitriol*, il est incontestable qu’il eut sa part de responsabilité concernant les centaines de milliers de crimes, massacres et déportations massives de Juifs et « présumés » terroristes traqués comme du bétail durant cette funeste époque.
Et finalement, il lui fut accordé une mort digne : fusillé debout et les yeux ouverts. A l’image de n’importe quel soldat déserteur qui lui n’avait trahi qu’une fois et n’avait entraîné personne dans sa forfaiture.
___
*« On ne s’aperçoit pas qu’on encourage le mensonge, qu’on encourage le Juif. En finira-t-on avec les relents de pourriture parfumée qu’exhale encore la vieille putain agonisante, la garce vérolée, fleurant le patchouli et la perte blanche, la République toujours debout sur son trottoir. Elle est toujours là, la mal blanchie, elle est toujours là, la craquelée, la lézardée, sur le pas de sa porte, entourée de ses michés et de ses petits jeunots, aussi acharnés que les vieux. Elle les a tant servis, elle leur a tant rapporté de billets dans ses jarretelles ; comment auraient-ils le cœur de l’abandonner, malgré les blennorragies et les chancres ? Ils en sont pourris jusqu’à l’os. »
(Robert Brasillach, Je suis partout, février 1942)
@ sbriglia
J’ai conservé le document expéditif. Je ne sais si vous lisez de temps à autre ce qui se raconte ici mais ceci est resté dans la mémoire de mes classements :
« Le procès de Robert Brasillach (Cour de justice de la Seine, 19 janvier 1945, 13 h)
13h45, premier interrogatoire de Brasillach qui comparaît sous le chef d’accusation « d’intelligence avec l’ennemi ».
15h45, réquisitoire de Marcel Reboul conclu par ces mots: « Il n’y avait qu’une chose qui eût pu je ne dis pas faire pencher la balance de votre côté mais faire frémir le fléau de cette balance. Cette chose, je l’ai cherchée avec conscience en relisant vos articles… ce que je cherchais, c’est un mot de pitié pour tous les otages, pour tous les martyrs, pour tous les sacrifices…. Voilà ce que j’ai cherché et je n’ai rien trouvé parce qu’il n’y avait rien. Alors j’ai compris que vous étiez seul, seul avec votre talent magnifique qui était inutile parce qu’il n’était pas miséricordieux. J’ai compris qu’il fallait que je me lève pour accomplir mon devoir car si je ne l’avais pas fait, trop de voix mortes d’outre-tombe auraient pu chuchoter à mon oreille ce mot terrible que vous aviez préparé pour d’autres : « Qu’attend-on ? » »
17h20, plaidoirie de Jacques Isorni (face à lui sont les jurés communistes) dominé par ce moment où il évoque la figure d’un militant communiste qu’il a défendu devant les tribunaux de Vichy où dit-il « j’ai trouvé ce que j’ai retrouvé chez Brasillach, la sincérité, le désintéressement, la pureté » ; « Je me rappelle un jeune homme de vingt ans. Qu’importe son nom ! C’était un bûcheron de la forêt d’Orgerus… Communiste, il avait été condamné à mort. Je me rappelle son beau regard d’enfant, sa grande stature. Il venait d’être condamné, il me regardait et il eut ce simple mot : « Pour mes idées, c’est un crime ». Et moi, je dois dire que je suis resté silencieux. Je l’entends encore. « Pour mes idées, c’est un crime ». Je le vois encore. Je sais qu’il est parti vers la mort comme un martyr chrétien ».
18h30, lecture des questions au jury
18h35, délibération du jury
19h, verdict : condamnation à mort.
La grâce sera refusée dix-huit jours plus tard malgré une pétition signée par une soixantaine d’intellectuels. L’exécution a lieu le 6 février.
Rédigé par : sbriglia@Giuseppe | 03 octobre 2019 à 15:24
La raison de la peine de Brasillach
Dans sa biographie de François Mauriac, Jean Lacouture émet deux hypothèses :
— Dans le dossier qui lui avait été remis, De Gaulle, sollicité par François Mauriac pour la grâce de Brasillach, trouva une photo qu’il aurait pu mal interpréter. Je cite Jean Lacouture :
« Louis Vallon, fidèle du Général de Gaulle, cité par Me Isorni, assurait que de Gaulle avait été déterminé par la découverte d’une photo de Brasillach revêtu de l’uniforme allemand…
Dans un entretien avec Louis Jouvet… le Général de Gaulle aurait répondu à son interlocuteur, qui le pressait de lui expliquer le refus de la grâce de Brasillach, qu’après avoir vu un tel document « il n’était plus possible d’accorder la grâce à laquelle il était auparavant disposé »…
Il aurait ajouté que la faute en incombait à « cet imbécile d’avocat de Brasillach qui avait laissé traîner une telle pièce dans le dossier… »
Jean Lacouture précise quelques lignes plus loin qu’il y avait eu peut-être erreur avec une photo de Jacques Doriot en uniforme d’officier de la Waffen SS. Il aurait pu y avoir méprise.
— Deuxième hypothèse, plus réaliste, Jean Lacouture évoque quelques lignes plus loin les « pressions communistes » sur de Gaulle, qui exigeaient des têtes.
François Mauriac avait eu un pressentiment la veille lors d’un dîner à l’ambassade de l’URSS. Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, lui parla de telle façon que François Mauriac comprit « que cette nuit qui commençait serait la dernière nuit de l’écrivain. »
Biographie de François Mauriac par Jean Lacouture, pages 425/426.
Biographie passionnante : Jean Lacouture avait un talent exceptionnel pour les biographies.
Cordialement. »
Merci à sbriglia, mousquetaire des idées et des mots, Jean Lacouture et son travail immense sur la trilogie de de Gaulle, une oeuvre référence et toujours aussi puissante et généreuse.
Je ne peux m’empêcher d’être mal à l’aise quand il s’agit du sort de Brasillach. Nous jugeons avec un recul historique de quatre-vingts ans mais que pouvons-nous savoir et sentir de l’état d’esprit de l’époque ? Cet homme est fusillé en février 45, alors même que la guerre n’est pas terminée et que son cortège de souffrances accable toujours les Français. À une époque où l’idée de supprimer la peine de mort n’est même pas imaginée.
Bien entendu, son destin serait aujourd’hui différent.
À ceux qui trouvent de l’intérêt à la visite des cimetières, je conseille un crochet par la rue de Bagnolet, au numéro 109 très exactement. L’endroit n’est pas très riant mais c’est là que se situe le cimetière de Charonne, si ridiculement petit qu’on en fait le tour en quelques minutes. On y trouve par exemple la sépulture de Brasillach (et de sa mère), d’une banalité affligeante, pierre de pauvre chichement fleurie. Et quelques mètres plus loin, pas plus gaie que l’autre, celle de son beau-frère Momo Bardèche (et de Madame). Deux malfaisants venus s’y faire oublier.
Mais la tombe que vous ne devrez et ne pourrez pas rater, énorme, tout Carrare, quasi mausolesque, d’un blanc de chez blanc, se situe au fond, face à vous : c’est celle où repose pour l’éternité l’immense Bernard Ganachaud, le prince de la boulange, l’inventeur de la baguette Gana (aujourd’hui honteusement copiée et refourguée sous l’appellation de « tradi »). Vivre sans avoir lu Brasillach, la chose devrait être possible. Mais ne pas connaître le petit-déjeuner d’une tranche de Gana mouillée au vin chaud, frottée au lard et à l’ail (y’a pas plus sain), c’est signer pour une vie foireuse. Et une fine pour terminer, histoire de soigner l’hygiène buccale et de rincer la gencive, avant de mettre le cap pour l’usine…
C’est tous les jours et à toute heure ! Assez, je suffoque ! Les médias commencent à me courir à ne parler que de la canicule. Alors que la Une de Charlie affiche à quelle sauce risque d’être consommé Winston Volodymyr, et pendant ce temps ALFRED LELEU nous conte la grande histoire par la petite porte.
Assez donc de nous parler de brumisateurs et autres miroir d’eau, on ne sait que se regarder le nombril dans notre pays.
Des centaines de millions souffrent de symptômes liés à la chaleur, 150 000 à 300 000 décès sont directement ou indirectement liés à la chaleur chaque année (selon l’OMS et les études climatiques).
Pendant ce temps l’Europe de misère ainsi définie par Trump qui ne comprend pas que « 400 000 000 d’Européens ont besoin des 350 000 000 d’Américains pour combattre 140 000 000 de Russes ». L’Europe de la trouille, du chacun pour soi, pusillanime, les Rosbifs se sont barrés de ce ramassis hétéroclite de pays.
Trump a sans doute bien des défauts, mais quand la construction est branlante, il faut la raser.
La « libération » a marqué le retour du totalitarisme de la pensée de 1793.
On pouvait se dire communiste ou nazi, on pourra désormais se dire communiste et encenser Mao avec son cortège de 60 millions de morts, mais il sera interdit de seulement se demander pourquoi le nazisme avait enthousiasmé l’immense majorité des Allemands, et une partie des Français.
Aujourd’hui, nous en sommes à l’interdiction de seulement penser la spiritualité. L’âme ne doit pas exister, et les guérisseurs doivent être des charlatans.
Quant à l’Église, ou plus précisément son clergé séculier, il ne s’y trouve qu’un cardinal africain, Robert Sarah, pour nous dire de stopper l’immigration et retrouver l’esprit des Vendéens de 1793, car la pègre intellectuelle veut avec elle, détruire le christianisme, détruire la spiritualité.
Le réquisitoire de l’avocat général Reboul au procès Brasillach, rappelé par @Giuseppe (12 août 2025 à 15:18) devrait servir de point d’exclamation à cet article. Il suffit à conclure.
Quoi de neuf maintenant ?
Je viens de relire les poèmes de Fresnes, auxquels les biographes se sentent tenus de faire un sort. Le contexte récent est omniprésent, d’une sorte qui est parfois difficile à supporter : « Mon pays m’a fait mal par tous ses exilés / Par ses cachots trop pleins, par ses enfants perdus ». L’apitoiement sur soi-même aussi : cela peut se comprendre.
Sur le plan littéraire, c’est une jolie besogne de normalien sachant écrire, guère plus. Brasillach pioche quand même pas mal dans le Testament de Villon, et surtout dans l’inépuisable Péguy, « âmes charnelles », « pétris de cette terre », « voici couler le sang de notre race », etc.
Dans son journal, Léautaud évoque la débâcle de mai 1940, plusieurs mois après l’évènement et sans y attacher d’importance particulière. Sans doute Brasillach aurait-il mieux fait d’adopter la même indifférence féline, au lieu de se pâmer devant les figurants de Nuremberg, cadets de l’Alcazar et autres Siegfried autoproclamés qui ne lui avaient rien demandé, puis de commettre les articles que l’on sait.
Il a donné sa démission à Je suis partout après la chute de Mussolini et la bataille de Koursk : trop peu et trop tard.
Évidemment, les conseils sont plus faciles à donner quatre-vingts ans après…
@ genau | 11 août 2025 à 19:16
« Il n’aurait pas fait tressaillir de joie les jeunes de 1958 par son ignoble et magnifique « La France, 60 millions de Français, de Dunkerque à Tamanrasset » et fabriquer, en quatre ans, un des pires ennemis de la France : l’Algérie. »
Il y eut aussi le terrible discours de Mostaganem : « Je vous ai compris ! L’Algérie restera française » devant une foule enthousiaste. Ceux qui allaient être mes futurs beaux-parents habitait à quelques kilomètres dans le village d’Aïn Tedeles. Ils y ont cru… Une véritable trahison.
Pour mémoire je rappellerai aussi les conditions dantesques de l’exécution de Roger Degueldre :
https://jeanyvesthorrignac.fr/wa_files/L_27assinat_20du_20lieutenant_20Roger_20Degueldre.pdf
Pour tout mélomane, Pierre Fournier est un des plus grands violoncellistes français des années 40. Equivalent, au violoncelle, de Ferras au violon…
Adulé, décoré, sa fiche Wikipédia est un modèle du genre… Une icône !
Et pourtant !
Brasillach est un petit garçon à côté de lui : Fournier dénonçait, pendant la guerre, ses collègues juifs aux autorités allemandes ; il fut, grassement, rémunéré par la puissance occupante pour ses concerts donnés sur « Radio Paris »…
À la Libération, Fournier fut condamné… à ne pas exercer son art pendant quelques mois…
Puis, officier de la Légion d’honneur pour celui qui avait un poignet d’archet exceptionnel mais qui avait envoyé, sciemment, des juifs à la mort…
Moralité : quand on est un salaud, il vaut mieux être musicien qu’écrivain…
@ missbabaou | 13 août 2025 à 17:53
« Moralité : quand on est un salaud, il vaut mieux être musicien qu’écrivain… »
Quand un écrivain exerce une magistrature morale en prêchant ce qui doit être, il ne me paraît pas anormal qu’il en rende compte quand il entraîne les autres au mal, comme un joueur de flûte avec les enfants du fameux conte. Noblesse oblige.
L’écrivain et assimilés exercent un pouvoir spirituel, et parce qu’ils ont souvent une connaissance supérieure à la moyenne des ressorts qui animent les gens, et parce qu’ils ont des techniques, éventuellement des capacités d’écriture, et un prestige, fascinant leurs lecteurs.
La plume ou le clavier sont des armes, qui demandent une certaine prudence, comme chaque commentateur devrait le savoir, et par conséquent, surveiller ce qu’il peut déchaîner, en écrivant…
Et en vérité, ce que chacun peut percevoir par l’observation des commentaires, peut se faire en bien plus grand quand on est écrivain ou assimilé, vous savez. Si la langue est la meilleure et la pire des choses, la plume est une arme qui a exactement la même force que l’épée, et si certains ont un fusil, d’autres possèdent la bombe.
Dans tous les cas, les artistes reconnus du langage disposent d’armes d’une puissance telle qu’on peut dire que, « bien après qu’ils ont disparu », les mots peuvent exécuter, « dans les rues ».
C’est comme pour les textes « sacrés », on peut s’en réclamer jusqu’à la fin des temps pour nuire, ou en être imprégnés sans le savoir pour méfaire.
Il y a des écrivains qui se regardent écrire leurs lettres en songeant au jour où elles seront publiées avec leurs œuvres. Pourquoi pas ? Mais il faudrait aussi songer à la puissance de création et de destruction infinie des mots, et essayer de ne pas polluer le monde par ses éructations. Sinon, qu’on le dise ou non, on commet une « bagatelle pour un massacre. »
L’écrivain est une créature solitaire qui peut agir comme une Église, ce qui n’est pas un compliment… Le culot des prêcheurs ! Quand puissant, se permettre tous les abus, et quand on vient lui présenter la note, prendre des airs de martyr.
Or l’écrivain n’est pas un prêtre, asservi aux rites et englué dans une hiérarchie. Mais un roi.
L’écrivain n’est pas un roi de naissance, mais c’est sacré lui-même, créateur de forme, et parfois de sens…
Or qui a voulu sa position doit bien plus l’assumer qu’un héritier ! Bien plus libre qu’un prêtre pris dans une hiérarchie et obligé à ressasser quelque dogme, il crée son monde.
Noblesse oblige !
Plus on a de pouvoir et de liberté, plus on est responsable. Personne n’oblige quelqu’un à devenir écrivain, il ne semble pas non plus que l’Occupant ait ordonné à Brasillach d’écrire contre sa volonté.
Mais il est vrai qu’il y a une solitude de l’écriture que d’aucuns peuvent vouloir rompre par la politique. Affreux, n’est-ce pas ? Peut-être vaut-il mieux se dérober aux yeux du monde, n’y laissant qu’un pseudonyme et écrire pour l’éternité.
Bref, assumer le rôle de guide, intellectuel, que personne ne vous oblige à devenir, oblige… J’inclus bien sûr dans cette responsabilité du créateur et guide le scénariste et le cinéaste, qui tracent leur oeuvre sur la toile et non sur le papier. Noblesse oblige, encore !
D’un autre côté, les dénonciateurs auraient dû être condamnés, et non honorés comme votre musicien, certes, mais on a préféré raser des femmes…
Pauvre pays.
Le procès de Brasillach fut une honte pour la Justice et le livre qui y fut consacré par PB le démontre parfaitement. Les écrits de Brasillach peuvent être appréciés ( je ne parle évidemment pas de ses écrits politiques). J’ai tendance pour ma part à les juger assez faibles. Brasillach n’était pas Bernanos. Mais ce procès, ce refus de grâce, cette exécution, je n’en suis toujours pas remis.