Pour une fois, le jury du prix Goncourt devait arbitrer entre trois livres, dont deux au moins étaient remarquables, quoique dans un genre radicalement différent.
Laurent Mauvignier (LM), avec « La maison vide », l’a obtenu. Caroline Lamarche, écrivaine belge, a recueilli quatre voix et, à ma grande surprise, Emmanuel Carrère (EC), pour Kolkhoze, n’en a obtenu aucune.
Avant d’aborder ce qui a pu motiver, sur le plan littéraire, le choix du jury, on est bien obligé de s’interroger sur les éléments extrinsèques ayant peut-être influencé les jurés Goncourt.
Les deux auteurs avaient déjà une très grande réputation et ils avaient bénéficié pour leur dernier livre de critiques extrêmement élogieuses. EC, sans la moindre réserve. LM, lui, avait tout de même pâti de quelques comptes rendus négatifs, pour certains à la limite de la condescendance. Chez Augustin Trapenard, celui-ci les avait gratifiés des mêmes dithyrambes. De sorte que, sur le plan de l’accueil et de la réception de leur ouvrage, rien ne permettait de donner plus l’avantage à l’un qu’à l’autre.
Pour EC, je me demande s’il ne lui a pas nui d’avoir consacré une large part de « Kolkhoze » à sa mère Hélène Carrère d’Encausse, personnalité très influente et à l’entregent considérable dans le monde des lettres. Comme si, en honorant ce livre, on avait pu craindre d’être soupçonné de favoritisme.

Ces deux livres ont fait du prix Goncourt, cette année, un duel au sommet. Long pour EC, très long pour LM (760 pages), ils se présentaient dans un contraste absolu, aussi bien sur le plan de la narration que sur celui du style.
À mon humble avis, « Kolkhoze » était passionnant tout au long, avec des pages déchirantes à la fin et des portraits, des personnalités magnifiés par l’art de l’auteur, capable de tirer d’une apparente simplicité une profondeur et une émotion sans pareilles. J’ai apprécié « La Maison vide » mais j’ai dû résister à quelques défauts : des redites, des ressassements, parfois des facilités, une profusion pour la profusion. Mais quelle puissance cependant ! Quelle exploration du temps, dans le temps, avec ces trois générations, ces deux guerres et ces femmes aux tempéraments si divers, antagonistes ou complices, quelle immense coulée de mémoire et de retour vers le présent depuis 1914 !
Chez EC, quelle fluidité narrative ; chez LM, quelle densité lourde et concentrée ! Chez le premier, une expression limpide, évidente, sans fioritures, fuyant les effets mais les retrouvant autrement ; chez le second, une accumulation, une répétition, des avancées douloureuses, des moments superbes, une causticité, une empathie. Chez EC, rien de trop ; chez LM, une surabondance, un trop-plein qui, la plupart du temps, comblent plus qu’ils ne lassent !
Je ne parviens pas à me défaire de l’impression qu’il y a tout de même une injustice, une volonté clairement affirmée de laisser EC à l’écart, hors Goncourt, dans l’absence de la moindre voix en sa faveur. J’entends bien qu’un authentique arbitrage aurait été difficile à opérer, mais c’est comme si le jury avait cherché à se débarrasser d’emblée d’un auteur et d’un livre qui n’étaient « pas leur genre », parce qu’en face, ils l’étaient !
On ne peut pas soutenir pourtant qu’il ait choisi la facilité : « La Maison vide » suscite l’admiration et relève de l’ascèse.
Attendons le prochain Emmanuel Carrère.
Puisque nous faisons dans la critique littéraire aujourd’hui, petite information.
J’ai acheté le livre « La Maison vide » quelques jours après le passage de l’auteur à La Grande Librairie. J’en ai abandonné la lecture au bout d’une trentaine de pages, aucun intérêt pour moi. Je ne dis pas qu’il m’est tombé des mains, mais ce n’est pas mon genre, si je puis dire.
Ceci dit, je ne suis pas critique littéraire, je n’ai aucune prétention d’analyste en littérature, je donne simplement mon expérience de lecteur.
Il a eu le prix Goncourt, tant mieux pour lui, cela prouve que tous les goûts sont dans la nature.
Je n’ai pas lu les deux autres livres qui étaient encore en compétition.