Gérald Darmanin face à des élèves…

Le garde des Sceaux s’est rendu à Bordeaux pour rencontrer les élèves magistrats de l’École nationale de la magistrature (ENM) et leur annoncer les changements qu’il envisageait. Il a également dialogué avec une soixantaine d’enseignants et confirmé dans ses fonctions de directrice Nathalie Roret (Paule Gonzalès dans Le Figaro).

La promotion « État de droit » était mobilisée. Mais, sur les 468 auditeurs de justice, seuls 250 étaient présents dans l’amphithéâtre.

Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination, alors que sa contestation, dans le climat actuel, n’est pas illégitime et qu’il aurait été plus fort, symboliquement, d’arbitrer en faveur d’une incarnation exemplaire, ou même d’une victime à laquelle on aurait rendu hommage ?

Avant d’en venir à la teneur des propos du ministre, j’avoue ma surprise devant la manière infantilisante dont ont été prévues et programmées les questions adressées à Gérald Darmanin. Comme si l’on n’avait pas pu, tout simplement, laisser les auditeurs formuler librement leurs interrogations – en espérant, pour toutes, une forme maîtrisée.

Le comble du ridicule a été atteint avec « un petit happening » au cours duquel deux auditrices et un auditeur ont proféré trois banalités vaguement contestataires, évidemment applaudies à tout rompre.

Le garde des Sceaux envisage pour l’ENM – il a rappelé que tous les futurs candidats à l’élection présidentielle souhaitaient sa disparition – « une réforme en profondeur du concours et du recrutement, l’introduction de modules d’enseignement consacrés au monde économique et financier, à la connaissance des rouages administratifs et étatiques, des cours de management, mais aussi l’obligation de mobilité des magistrats ».

Ce n’est pas sur ce plan que je discuterai le propos, au demeurant revigorant, de Gérald Darmanin : on garde l’ENM, mais on la réforme. Je suggérerais volontiers que la culture générale – classique et contemporaine – ne fût pas oubliée !

En revanche, si j’admets que « si l’on ne change pas quelque chose, cela va mal se passer avec une population qui ne se sent pas représentée », je suis beaucoup plus réservé, non sur « l’ouverture méritocratique », mais sur l’idée « d’une magistrature qui doit changer et ressembler à ceux qu’elle juge, pour retrouver la confiance des justiciables ».

Je crains que cette aspiration, destinée à plaire immédiatement à une majorité de citoyens, ne soit un zeste démagogique. Car la difficulté réside dans le fait que rêver d’une magistrature plus conforme à la composition sociologique de notre pays est une chose, mais vouloir « qu’elle ressemble à ceux qu’elle juge » en est une autre.

En effet, je crois que la magistrature a trop souvent cultivé, dans ses apparences, dans ses pratiques, dans ses rapports avec autrui et dans sa volonté de mimétisme social, politique et syndical, l’obsession de se rapprocher des comportements ordinaires, pour qu’on puisse, sans danger, pousser encore plus loin la dilution de la Justice dans le commun.

Que la diversification du corps s’amplifie et s’enrichisse, soit ; mais rien ne serait pire que l’abolition de la distance, de la tenue, de cette légitimité et de cette autorité qui, dans les temps de crise que nous vivons, constituent le moyen le plus radical de perdre l’estime des citoyens et le respect des politiques. Profondément, la magistrature peut avoir des origines multiples, mais pour rien au monde le magistrat ne doit être comme tout le monde : sinon, il perd tout crédit pour juger. Cet écart nécessaire, c’est sa force et son honneur.

Le faire « ressembler à ceux qu’il juge », ce serait aggraver gravement son déclin.

Et ce serait la banalisation d’une institution qui ne se remet pas d’avoir été, et de ne plus être, ou médiocrement.

Alors que rien n’est irréversible et que tout est ouvert pour 2027.

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Voir les Commentaires (19)
  1. Patrice Charoulet

    Toute ma vie, j’ai admiré les fonctionnaires de police. Pas une fois je n’aurais eu l’idée saugrenue de les insulter ou de leur lancer des pierres. Je ne comprends pas ceux qui s’en plaignent.

    Ce dimanche, je m’aperçois, en début d’après-midi, que je ne trouve plus un petit porte-cartes contenant ma carte d’identité, ma carte Vitale, ma carte bleue… Je fouille ma maison de fond en comble. En vain. Je retourne là où je suis allé ce matin et demande s’ils n’ont pas trouvé de porte-cartes. Non. Je décide alors de préparer toutes les pièces nécessaires pour renouveler, lundi, ces cartes perdues.

    Coup de sonnette. Dans le répondeur, je demande qui sonne. Réponse : « Police nationale. » Je leur ouvre. Deux policiers montent l’escalier. Après m’avoir demandé ma date de naissance, ils me remettent mon porte-cartes. Je les ai vivement remerciés.

    Grand merci à la Police nationale, une fois de plus.

    1. Il est bien bon, mais peu « professionnel », votre commissaire de police. À sa place, afin que les policiers sous mes ordres consacrent le plus de temps possible à leur mission première – assurer l’ordre public –, je vous aurais fait déposer une convocation dans votre boîte aux lettres avec pour motif « Affaire vous concernant ».

  2. « La promotion « État de droit » était mobilisée. » (PB)

    Est-ce de l’humour noir, surtout devant un droit particulièrement malmené en France, par exemple quand nous voyons comment les agressions à caractère raciste de Français historiques par des gens venus d’ailleurs sont occultées, ignorées, déniées, y compris quand elles sont au cœur même d’affaires criminelles épouvantables, en contradiction du principe d’égalité ?

  3. « rien ne serait pire que l’abolition de la distance, de la tenue, de cette légitimité et de cette autorité qui, dans les temps de crise que nous vivons, constituent le moyen le plus radical de perdre l’estime des citoyens et le respect des politiques. » (PB)

    C’est devenu un comportement classique chez nos dirigeants que de « faire peuple » en s’imaginant gagner la faveur populaire.
    Déjà Giscard, avec ses dîners chez l’habitant, avait ouvert le bal de la démagogie ancillaire, si je puis dire.
    Puis cela a suivi avec d’autres : Chirac avec le Salon de l’agriculture et le cul des vaches, Hollande poussant la démagogie jusqu’à se vouloir un « président normal », et Macron avec le grand débat où, manches de chemise blanche relevées, il démontrait sa capacité à parler pour ne rien dire, tel un bateleur de foire.

    Ce n’est pas en s’abaissant au niveau du peuple qu’on répond à sa demande.

    Pour mener le troupeau vers de verts pâturages et être aimé de ses moutons, le berger doit-il se mettre à quatre pattes, ou doit-il se tenir droit pour visualiser le meilleur chemin et anticiper l’arrivée du loup et des malheurs qui pourraient s’ensuivre ?

    Caricature ou dérision, me reprochera-t-on ; il n’empêche que la métaphore a un brin de réalité.

    Que de soucis, que de tracas avec le budget.
    Sébastien Lecornu indique « chercher des compromis » avec le PS, qui « ne soient pas de la compromission ».

    Alors chantons tous en chœur :

    Ah ! que de compromis,
    Pour si peu d’économie.
    Évitons toute antinomie,
    Pour, en toute bonhomie,
    Faire de l’économie,
    En bons faux amis.

  4. « mais pour rien au monde le magistrat ne doit être comme tout le monde : sinon, il perd tout crédit pour juger. Cet écart nécessaire, c’est sa force et son honneur. » (PB)

    Dites cela aux magistrats consulaires et aux conseillers prud’homaux, ils apprécieront…

  5. « Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination, alors que sa contestation, dans le climat actuel, n’est pas illégitime et qu’il aurait été plus fort, symboliquement, d’arbitrer en faveur d’une incarnation exemplaire, ou même d’une victime à laquelle on aurait rendu hommage ? » (PB)

    Surtout à une époque où le Législateur et le Conseil constitutionnel s’acharnent à tordre le droit à qui mieux mieux au détriment des braves gens et au profit des crapules…

  6. Il semble évident que, depuis une cinquantaine d’années, ce qu’on apprend dans les classes primaires, secondaires et supérieures est nettement différent de ce que l’on apprenait auparavant.
    Hormis ce qu’on désigne par le mot « idéologie », il apparaît nettement que le champ de la synonymie a été déserté de telle sorte qu’un même mot rassemble des sens multiples. La pensée peut ainsi devenir simpliste tandis qu’il devient impossible de donner aux mots le sens qui convient.

  7. Patrice Charoulet

    Ce jeudi matin, sur LCI, l’un des invités est Christophe Barbier, qui a ses mérites. Le sujet est le vol du Louvre. En bas de l’écran, on peut lire : « Cinq personnes interpellées ».
    Christophe Barbier, après une prépa littéraire, avait été élève de Normale Sup. C’est plutôt bon signe. Il est instruit, cultivé et parle avec aisance sur tous les sujets. Il veut faire l’intéressant en disant : « Vous mettez deux l à “interpellées” ? Moi, j’en aurais mis un. » L’animatrice opine du chef.
    Christophe Barbier aurait mieux fait de se taire. Le verbe « interpeller » s’écrit avec deux l partout, à la différence du verbe « appeler ». On écrit : « Nous interpellons », « Il a interpellé ». On a donc eu raison d’écrire : « Cinq personnes interpellées ».

    1. hameau dans les nuages

      Ne soyez pas virulent avec lui. Il n’avait pas mis son écharpe rouge, son grigri, ou l’avait oublié, il était donc désorienté. Quand il m’arrive de réécouter ses propos tenus au moment du covid… Pitoyable.

  8. Ce qui, d’emblée, saute aux yeux dans le discours du garde des Sceaux à l’ENM, c’est que Darmanin fait du Darmanin. Soyons plus clairs : Darmanin gère son calendrier personnel, dont l’objectif est l’Élysée, quelle que soit la date du scrutin présidentiel. Pour conserver la Chancellerie, il s’est engagé à mettre sur pause son plan de conquête. Il n’en fait rien. Le voici qui présente un projet de réforme profonde de la magistrature, qui ressemble à s’y méprendre à un programme présidentiel en matière d’organisation de l’autorité judiciaire.
    Ce projet lui est strictement personnel. À en juger par le discours de politique générale du Premier ministre, il n’est pas dans les cartons du gouvernement, lequel, il est vrai, a des problèmes plus urgents à régler, dont dépend sa survie, pour le moins hypothétique.

    En se comportant ainsi en électron libre, Darmanin veut faire d’une pierre deux coups : non seulement il entend donner à l’opinion publique l’impression qu’il n’est pas pris dans la tourmente budgétaire que subit l’équipe Lecornu II, et ainsi éviter de paraître tomber avec elle lorsqu’elle sera censurée — ce qui serait néfaste à ses ambitions —, mais encore, à la manière de Sarkozy avec Chirac, il veut se construire une image de décideur, peu enclin à se contenter d’exécuter des décisions prises par d’autres, fussent-ils Premier ministre ou même Président.

    Quant au contenu de son projet, épousant, sans beaucoup de réflexion préalable, les attentes des plus radicaux vis-à-vis de la magistrature, il est tout simplement populiste. Dans une démocratie, le peuple est certes souverain, mais les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, pour être respectés, doivent être incarnés par des personnalités qui se différencient, par leurs attitudes, du commun des citoyens. Non, un Président ne peut pas être « normal »… Hollande l’a démontré à ses dépens… et aux nôtres.

    En ce qui concerne les pouvoirs exécutif et législatif, les urnes rendent naturelle cette élévation des élus, quelle que soit la classe sociale dont ils sont issus. Malheur néanmoins à celui qui en abuse, qui oublie sa condition de « serviteur du peuple » (cf. la détestation grandissante de Macron, qui va bien au-delà de l’opposition à ses choix politiques).
    Pour l’autorité judiciaire, il n’en va pas de même : les magistrats sont nommés sans la moindre consultation du peuple, au nom duquel, pourtant, ils rendent la justice. Cette exception a conduit à un entre-soi pernicieux, un corporatisme renforcé par le maintien dérangeant de traditions vestimentaires et protocolaires séculaires.

    En réalité, depuis les années 1970, cet esprit de club anglais ouvert à ses seuls membres masque, aux yeux du citoyen lambda, une situation beaucoup plus grave : l’entrisme, dans les instances supérieures de la Justice, de militants d’extrême gauche qui, bafouant le principe de neutralité, polluent l’ensemble de l’institution et, avant tout, l’ENM. Le choix de la dénomination de la promotion actuelle en est, sans le moindre doute, la meilleure preuve.

    Même si ce critère ne me paraît pas aussi déséquilibré qu’on le dit et, de ce fait, pas aussi déterminant qu’on le prétend, la Justice, outre ce manque de légitimité démocratique qui lui est propre, souffre aussi du ressenti suscité par sa composition sociologique. Il me semble cependant que, sur ce point, le problème tient moins à la réalité d’un recrutement que l’on dit « haut de gamme » qu’à l’impression de « chapelle réservée » que laisse le manque d’information sur celui-ci.
    En proposant de chambouler le processus d’entrée à l’ENM, en souhaitant que la composition de ses promotions reflète celle de la population française actuelle, Darmanin fait pire que mieux : non seulement il conforte cette idée, bien ancrée, que la Justice est aujourd’hui aux mains d’une caste, mais il prend aussi le risque de déboucher sur une Justice « normale », c’est-à-dire sans « chefs », sans colonne vertébrale, sans autorité. Une Justice qui, faute de « puissants », ne serait pas plus respectée que celle d’aujourd’hui, laquelle pâtit de ses dérives internes autant que de son manque de moyens humains et financiers.

    Que la Justice évolue sociologiquement, soit… Mais ce que veulent d’abord les Français, ce sont des juges fermes et dotés des moyens qui leur permettront d’exercer cette fermeté (prisons, peines planchers et perpétuité réelle, notamment). Ce qu’ils attendent, c’est la réactivation du projet de loi SURE, victime, à l’automne dernier, de la chute du gouvernement Bayrou. Darmanin, qui en est l’auteur, semble l’avoir délaissé… Il est vrai que la rigueur que prône ce texte ne permet pas au candidat à la présidence qu’il est de se différencier de sa concurrente du RN, dont il a quelque peu copié le programme…

    Quant à la fermeté des juges, elle ne sera acquise que lorsque le Syndicat de la magistrature aura été chassé des prétoires, des cabinets… et de l’ENM, lorsque le syndicalisme politique sera interdit aux magistrats, comme il l’est dans l’armée.
    Pour cela, la Constitution offre une arme redoutable : le référendum. Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui, si la question leur était posée, les Français répondraient « oui » à une très large majorité. Ils sont même prêts à virer sur l’heure les « juges rouges » qui ont sévi et sévissent encore.

    Cette mesure prise, pour responsabiliser les magistrats dont les décisions bénéficient aujourd’hui d’une liberté sans réel contre-pouvoir, hormis leur propre conscience et l’instance d’appel, il suffirait probablement de doter la Justice d’un corps d’enquêteurs incorruptibles — du même type que l’IGPN dans la police —, qui serait saisi obligatoirement par un parquet spécialisé dès lors que, via l’article 40 ou par toute autre voie à définir, celui-ci aurait connaissance d’un préjudice subi par un justiciable en raison d’une décision personnelle ou collégiale de magistrats. S’ensuivrait un procès devant une cour, elle aussi ad hoc, composée de juges professionnels et de jurés, ceux-ci rendant difficile tout acte de confraternité.

    Il n’est plus possible aujourd’hui d’admettre qu’un juge ouvertement laxiste ne soit pas inquiété, quand celui qui a bénéficié de ses largesses indues commet un crime que, souvent, les experts psychiatres avaient redouté lors de son procès.

  9. Pris de curiosité, je viens de survoler les noms des promotions de l’ENM et je constate avec un infini regret l’absence de tout juriste de l’Ancien Régime, ces temps paisibles où Dandin jugeait Chicaneau et récoltait des épices pour pouvoir payer la Paulette. C’est d’autant plus navrant que même quand d’aventure ces magistrats devenaient garde des Sceaux, ils continuaient à écrire, et fort bien…

    À mon sens, les dix noms suivants devraient être choisis en priorité et réservés pour les prochaines années :

    Henri-François d’Aguesseau, car il fut, entre autres charges, avocat général à Paris et que cela ne pourra que faire plaisir à l’auteur de ce blog.

    Un de Thou, Christophe ou Jacques Auguste au choix, le premier pour le droit, le second pour les lettres.

    Mathieu Molé, à cause de son portrait par le Coadjuteur, qui s’y connaissait en matière d’émeutes urbaines : « le plus intrépide homme qui parut en ce siècle », devant le grand Condé.

    Henri François de Paule Lefèvre d’Ormesson, pour le nom qui est joli, parce qu’il rédigeait nettement mieux que son descendant le plus connu, mais aussi pour avoir refusé d’être ministre de Louis XV.

    Malesherbes, à cause de la phrase de Badinter sur les avocats qui n’ont pas eu le bonheur d’être guillotinés pour avoir défendu leur client.

    Guillaume de Nogaret, parce que le maître de ce blog veut des gardes des Sceaux à poigne, et que ce fut le seul à oser gifler un pape.

    Achille de Harlay, en raison d’une réplique prononcée dans la Grande Chambre et très utile pour toute École possédant un grand amphi : « Si ces Messieurs qui causent ne faisaient pas plus de bruit que ces Messieurs qui dorment, cela accommoderait fort ces Messieurs qui écoutent ».

    Brillat-Savarin, qui a été avocat, car les bons dîners font les grands réquisitoires.

    René Nicolas de Maupeou, car il a empêché la Révolution française – pendant trois ans seulement, mais cela donnera satisfaction à un certain nombre de contributeurs de ce blog.

    Et enfin Montesquieu, car tant qu’à résider à Bordeaux…

    1. Pour faire plaisir à Xavier Nebout, je rajouterais Pierre-Antoine Berryer, légitimiste s’il en fut.

  10. Xavier NEBOUT

    Ne pas ressembler à ceux que la magistrature juge est une chose, faire un stage parmi eux pour connaître leur vie et leur état d’esprit, serait en revanche salutaire.
    Si, en effet, au lieu de « bouffer » du patron, du promoteur ou de l’agent immobilier, ils avaient mis les pieds dans la diversité des entreprises — en somme, s’ils connaissaient la vie sur terre autrement qu’en descendant de leur appartement ou en fréquentant quelques associations gauchistes, ou comme apprentis francs-maçons —, la justice serait moins pourrie.

    Le mieux serait que la magistrature ne soit accessible qu’après quinze ans de carrière d’avocat, comme c’est le cas en Angleterre, notamment.

    Ceci dit, le plus gros problème réside dans l’envie même d’être magistrat : avec une moitié d’enfants de fonctionnaires et près de 70 % de femmes, on est bien loin de la réalité économique.

    Nos apprentis magistrats sont ainsi en quasi-totalité d’une ignorance crasse sur la spiritualité, et en cela aux antipodes de ce que fut le juge dont ils portent la robe. Sachant que la morale publique devait être encore à la fin du XIXe, officiellement fondée sur le salut de l’âme, la chute est vertigineuse.
    Le juge dont la racine du mot désignant sa fonction est jus-Dieu, a fait place au justicier, et nous en voyons les dégâts.

  11. « Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination » (PB)

    L’usage veut que ce choix soit fait par les étudiants eux-mêmes. Chaque promotion se définit ainsi dans sa nature et ses objectifs.

    Ce choix est la marque d’une double faiblesse de cette promo, faiblesse morale d’abord et intellectuelle ensuite.
    Il tient à la fois de l’immaturité et de l’arrogance, propre souvent aux ados, mais aussi aux adultes pas encore finis, je n’ose citer Macron.

    Immaturité, parce que c’est une attitude de défi envers le peuple, envers ce qui remonte des protestations populaires concernant le laxisme des magistrats.
    Ces futurs magistrats nous disent :
    Nous appliquerons le droit à notre façon, et tant pis si vous n’êtes pas contents. Nous avons le pouvoir de décider et nous n’avons pas de contre-pouvoir, alors …

    Au fond c’est une sorte de bras d’honneur aux doléances de tous ceux, et ils sont majoritaires, qui se plaignent d’une justice qui ignore les drames du quotidien du peuple pour ne considérer que le texte littéral de la loi, et encore dans une interprétation biaisée.
    Le Code civil n’est pas un texte révélé, mais c’est ainsi que bien souvent, trop souvent il est appliqué.

    Et j’en viens à la seconde faiblesse, pour ne pas dire tare de cette promo, l’ignorance ontologique (!?), n’ayons pas peur des mots, de ces jeunes futurs magistrats.
    Ils n’ont pas l’air préoccupés, ils ne se posent pas la question d’où vient le droit, qui dit le droit que les magistrats appliquent si mal.
    Mais le peuple évidemment. Toute décision de justice est prononcée au nom du peuple français.

    Si le droit était de nature divine autrefois, avec un pouvoir royal de droit divin, et donc par un effet descendant, toute décision relevait d’une verticalité imposée, il n’en est plus ainsi à présent.
    La Révolution a émancipé le peuple et la nation du droit divin, pour passer à un droit populaire, c’est à dire émanant de la volonté du peuple.
    À cet égard donc, la moindre des choses serait de tenir compte de la volonté populaire exprimée à la fois dans les textes législatifs, c’est évident, mais aussi de façon difuse dans l’expression de cette volonté dans une ambiance générale qu’avec un minimum de bonne volonté on peut lire et comprendre au quotidien, par exemple dans les sondages.

    Ces petits jeunes nous expliqueront doctement qu’ils ne veulent pas d’une justice fluctuante au gré des humeurs populaires, moi non plus, mais quand il s’agit de tendance lourde, qui existe depuis des décennies, cette volonté populaire n’est plus une humeur mais une demande impérative.

    Et puis la doxa bien-pensante est aussi un humeur, une mode, même si c’est une humeur d’élite, et c’est bien le reproche principal qu’on lui fait.

    Bref, par ce choix de dénomination, cette promo s’est définie elle-même comme anti-populaire. Au moins les choses sont claires.

    C’est Mitterrand qui disait : « Méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie, ils tueront la République. »
    Nous y sommes presque, ils auront au moins tué la volonté populaire, au nom de laquelle ils sont censés dire la justice.

  12. Bonjour M. Bilger,

    Oui pour la majeure partie de vos observations.
    Le point central selon moi, et pour faire court : le recrutement des magistrats devrait se faire comme dans de nombreux pays voire la plupart, parmi les avocats. Raison principale : avoir une expérience suffisante de ce qu’est la défense de tous : défendre un jour un créancier, le lendemain un débiteur, un jour un accusé ou un prévenu, le lendemain une partie civile, un jour un employeur, le lendemain un salarié…
    Si les futurs magistrats faisaient cette expérience de vie professionnelle au moins pendant dix ans, ils comprendraient certainement mieux les situations humaines litigieuses, et comment les résoudre en faisant accepter et respecter leurs décisions par les justiciables.
    Bien cordialement

  13. « Profondément, la magistrature peut avoir des origines multiples mais pour rien au monde le magistrat ne doit être comme tout le monde, sinon il perd tout crédit pour juger. Cet écart nécessaire, c’est sa force et son honneur. » (PB)

    Non, le magistrat ne peut pas être « comme tout le monde ».
    Ceci du fait qu’il dispose de prérogatives redoutables, comme nous pouvons le constater avec l’incarcération d’un ancien président de la République, « avec mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire », pour parler en termes juridiques. Ceci, sans preuves matérielles, mais reposant sur l’intime conviction de ses juges.
    Combien d’erreurs judiciaires ont été déplorées à cause de cette fameuse « intime conviction »…

    D’une façon générale, les élèves de l’ENM appartiennent à la haute bourgeoisie, souvent issus de familles où les parents sont eux-mêmes magistrats ou avocats. Certes, quelques jeunes surdoués issus de la classe laborieuse parviennent à entrer dans cette prestigieuse école à force de travail acharné, mais ils demeurent rares.

    Vouloir faciliter l’accès à cette école, en assouplissant le concours d’entrée — un peu comme cela a déjà été fait pour le baccalauréat, mais aussi pour Sciences Po, avec les résultats que l’on connaît — risque de produire des effets pervers.
    Il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal.

    Tout le monde connaît la fameuse phrase : « Méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie. Ils tueront la République », prononcée par François Mitterrand en 1995, alors qu’il présidait son dernier Conseil des ministres.
    On y est presque…

  14. revnonausujai

    Les magistrats devraient être comme la femme de César, insoupçonnables !
    À défaut, il faudrait une instance disciplinaire forte, c’est-à-dire l’opposé de l’actuel Conseil supérieur de la magistrature, qui accumule les tares entre composition purement corporatiste et laxisme structurel. Ce serait un pas vers la responsabilisation du corps, et par conséquent vers la confiance du peuple.
    Quis custodiet ipsos custodes ?

  15. Robert Marchenoir

    « Je suis beaucoup plus réservé, non sur « l’ouverture méritocratique », mais sur l’idée « d’une magistrature qui doit changer et ressembler à ceux qu’elle juge, pour retrouver la confiance des justiciables ». » (PB)

    Ah oui, quand même… Gérald Darmanin a réussi à sortir une sottise aussi grosse que ça ? Comme quoi j’ai eu raison de remonter les bretelles à Achille, tantôt, au nom d’une dérive bien plus générale : ni notre honorable collègue (comme dit Poutine) ni le ministre de la Justice ne savent lire ou écrire. Aucun des deux n’est capable de se rendre compte de l’énormité de ce qu’ils disent.

    Si la magistrature doit ressembler à ceux qu’elle juge, cela signifie qu’elle doit être essentiellement composée de voleurs, de violeurs et d’assassins. Toujours partant, Darmanul ?

    Évidemment, tout comme Achille, ce n’est pas « ce qu’il a voulu dire ». Il faut comprendre : bourrez-moi les promos de l’École nationale de la magistrature de Noirs et d’Arabes, et que ça saute.

    Mais même ça, c’est très sot, et pas seulement pour les Noirs-z-é-lé-zarabes. Si la « composition sociologique » de la magistrature, comme il convient de dire pudiquement, doit refléter « ceux qu’elle juge », alors ça veut dire qu’il faut imposer un quota de 80 % d’hommes, puisque la délinquance, comme chacun sait, est essentiellement le fait du sexe masculin (82 % des auteurs en 2019). Autrement dit, la mesure la plus urgente serait d’inverser radicalement l’extraordinaire sur-représentation du sexe féminin parmi les étudiants magistrats (76 % en 2021). Toujours partant, Darmanul ?

    Moi je pensais que le droit passait par la rigueur de l’expression et le respect scrupuleux du sens des mots, qu’il s’agisse du libellé d’une loi, du texte d’un jugement… ou, tiens, tant qu’à faire, des déclarations du chef des magistrats.

    Apparemment, ce n’est plus à l’ordre du jour.

    Remettons l’église à l’heure et la pendule au centre du village : il n’est pas besoin d’être agrégé de droit pour comprendre que les juges doivent d’autant plus appartenir à l’élite de la société qu’ils sont amenés à en juger la lie.

    Ce qui exclut, bien entendu, des quotas en faveur des Noirs et des Arabes.

    En revanche, des quotas en faveur des hommes, ou au minimum un rétablissement de la parité, ce serait la moindre des choses pour assurer la sévérité nécessaire et la réduction du sentimentalisme larmoyant.

    Là non plus, nul besoin d’agrégation de droit. Juste un peu de bon sens. Une denrée en voie de disparition…

    L’analphabétisme ambiant se remarque jusque sur la photo choisie. N’importe quelle paysanne à moitié illettrée de 1910 aurait compris que l’enseigne portant le nom de l’ENM doit être disposée ainsi :

    ÉCOLE NATIONALE
    DE LA MAGISTRATURE

    Et non, de façon grotesque, comme cela a été fait :

    ÉCOLE NATIONALE DE LA
    MAGISTRATURE

    Jusque dans les moindres détails, toufoulkan.

    « Est-il permis de s’étonner du choix d’« État de droit » comme dénomination, alors que sa contestation, dans le climat actuel, n’est pas illégitime et qu’il aurait été plus fort, symboliquement, d’arbitrer en faveur d’une incarnation exemplaire, ou même d’une victime à laquelle on aurait rendu hommage ? » (PB)

    Alors là, je ne suis plus d’accord. Appeler une promotion de magistrats « État de droit », ça tombe sous le sens, non ? Ce qui est légitime, c’est la contestation du sens dévoyé qui est fait de cette expression, pour signifier, en réalité, État de gauche. La nécessité de l’État de droit ne saurait être remise en cause, et encore moins par des apprentis magistrats !

    Cela étant, appeler une promotion « État de droit », c’est à peu près aussi malin que l’appeler « Justice ». Quel intérêt d’enfoncer des portes ouvertes ?

    Et il ne faudrait surtout pas lui donner le nom d’une victime. La pleurnicherie victimaire liée aux quinze dernières secondes de l’actualité, ça suffit. Quel que soit le choix, ce serait profondément injuste envers les autres victimes, passées ou à venir.

    J’ignore quelle est la tradition concernant ce nom, mais il me paraîtrait naturel d’honorer ainsi de grands serviteurs de la justice. Pas des victimes, qui ne sauraient être des exemples pour des élèves magistrats. Ça n’a pas de sens.

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