La loi comme repoussoir…

La culture anglo-saxonne a toujours perçu la loi comme une garantie, une protection. La France, même dans les temps ordinaires et plus paisibles qu’aujourd’hui, l’a appréhendée comme une menace, un risque. Ce contraste, longtemps, ne révélait que les différences entre deux modes de pensée, deux façons de vivre ensemble, deux rapports à l’État de droit.

Notre pays se focalise sur l’État quand l’autre culture privilégie le droit.

On peut considérer que cette opposition entre tempéraments collectifs n’a pas eu d’effets négatifs tant que la loi demeurait, peu ou prou, un critère, une référence, quel que soit le regard favorable ou critique porté sur elle. On la respectait ou on la violait. Dans le premier cas, avec une évidence et un civisme incontestables ; dans le second, avec mauvaise conscience.

Ce qui a radicalement changé aujourd’hui, c’est que la loi est devenue un repoussoir. J’ose espérer que la profession de magistrat reste encore celle qui se flatte de fonder ses pratiques sur l’observation de la loi, mais à vrai dire je n’en suis même pas sûr. Parmi les juristes patentés, sur des thèmes importants, les controverses et les interprétations divergent, mais au moins ces joutes ne sous-estiment pas l’importance de la loi. Elles en relativisent le caractère universel, d’autant plus que chaque pouvoir politique ressent l’obligation de supprimer les précédentes pour faire place nette aux siennes.

Plus gravement, je suis frappé de constater que, chez ceux dont on devrait attendre un respect absolu de la loi – de quelque source qu’elle émane -, on observe le comportement contraire. C’est devenu une mise en cause systématique, qui n’éprouve même plus le besoin de se justifier mais se glorifie, par cet anarchisme au quotidien, de violer ce qui pourtant devrait constituer le socle commun d’une nation encore un peu soucieuse de son unité.

Les réactions furieuses après l’instruction donnée aux préfets par Bruno Retailleau d’interdire le drapeau palestinien au fronton des mairies, ont été très significatives. Non seulement on a contesté absurdement sa validité, mais des députés dont on aurait pu attendre plus de légalisme – je songe à la députée LFI Clémence Guetté – se sont vantés de transgresser cette prohibition, comme s’ils accomplissaient un acte de courage alors qu’ils mettaient à mal une certaine culture démocratique.

Je n’évoque pas la multitude des actes délictuels, des accommodements douteux, qui relèvent d’une malfaisance consciente et organisée, qu’ils émanent des politiques ou de la société civile.

La loi vécue comme un repoussoir aujourd’hui, par des personnalités dont la qualité républicaine devrait être indiscutable – et d’abord par le respect de la loi parce qu’elle est la loi -, a pour conséquence désastreuse de fragiliser la répression, au nom de la loi pénale, à l’encontre des délinquants et des voyous. Ceux-ci se permettent d’invoquer, le plus sérieusement du monde, le caractère relatif et contingent de cette dernière, puisque d’autres transgressent la loi sans jamais être punis. C’est une argumentation qui ne devrait pas valoir tripette, mais il n’empêche que le délitement de la loi et des obligations qu’elle prescrit va, à mon sens, se poursuivre.

D’autant que ce mouvement va de plus en plus s’étendre qui place l’individu, ses humeurs, ses exigences, bien au-dessus de la loi et de sa définition théoriquement universelle. La loi ne protège plus l’individu, elle l’entrave.

Il faudrait un pouvoir vraiment et totalement exemplaire, persuasif par son excellence même, pour espérer un redressement de l’image de la loi.

Un facteur d’unité, plus qu’un prétexte à discorde.

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  1. Bonsoir Tipaza,

    De vos explications je comprends que l’État de droit est, ou serait, idéalement une bonne chose.
    Ce qui vous dérange, et du coup je comprends mieux le point de vue de Philippe, c’est que le droit serait tellement corseté par l’État de droit – certains pans de celui-ci sont, seraient, faits intentionnellement pour ça – qu’il devient, deviendrait, quasiment impossible de changer certaines lois sans se faire retoquer au nom de ces mêmes lois ou de parties d’entre elles.

    Pour autant il m’est difficile de penser qu’il soit nécessaire de s’affranchir des limites que fixe le droit pour le faire changer. Ne serait-ce que pour des raisons de limites. Qu’est-ce qu’on s’autorise à ne pas respecter pour le « bien » de la société ? Ou s’arrête-t-on ? Qui décide ? Est-ce qu’on ne peut réellement rien changer ou s’agit-il d’une volonté du politique de le faire croire au citoyen afin de l’agacer à un tel point qu’il acceptera l’idée de l’arbitraire ?

    J’ai la faiblesse de le penser depuis une vingtaine d’années.
    Quand l’État veut, il peut. Les prisons sont un bon exemple de la fausse bonne volonté de l’État. S’il a besoin de vous exproprier, il le fait sans difficulté ; pour imposer la construction de prisons, bizarrement, les blocages semblent insurmontables.
    Je comprends mieux ce qui motive cette volonté de s’affranchir de l’État de droit, mais non seulement je pense qu’il est possible de faire avec l’état du droit actuel, et qu’en plus, y céder c’est mettre le doigt dans un engrenage qui mène au totalitarisme.
    Bonne soirée.

  2. « Ce qui a radicalement changé aujourd’hui, c’est que la loi est devenue un repoussoir. » (PB)

    Mais c’est aussi parce que les hommes de pouvoir l’utilisent plus comme un moyen de contrainte ou de menace que comme une aide à la mise en place d’une forme d’harmonie sociale.

    Par exemple, avant la mise en place des lois dites « antiracistes », d’ailleurs de façon sélective unidirectionnelle, les lois existantes permettaient déjà de réprimer des propos ou des actes à caractère raciste.

    Mais en fait, les gouvernements en place à l’époque, inquiets des réactions des Français devant les premiers « phénomènes de société » inhérents à une immigration difficilement assimilable, ont monté une gigantesque opération de manipulation de l’opinion visant à faire croire que la France était un pays fondamentalement raciste, ce qui est d’ailleurs contraire à une vérité démontrée par plusieurs siècles de contacts avec des populations vivant sur l’ensemble de la Terre. Mais ils n’en étaient pas à un mensonge près.

    Il leur fallait donc museler l’opinion dans une comédie à grand spectacle, en usant de l’effet repoussoir de lois extrémistes, quitte à employer la menace, voire la terreur, pour un mot de travers, en nous inondant de mesures liberticides totalement décalées face à un danger imaginaire.

    Ainsi, alors qu’à l’époque les hommes politiques agitaient avec obstination l’épouvantail de l’antisémitisme, dont les seules manifestations violentes relevaient d’actes de terrorisme d’origine étrangère, ils visaient en fait la résurgence d’une « extrême droite » fantasmée menaçant leurs intérêts électoraux.

    Mais c’est avec amertume que nous sommes obligés de constater que l’antisémitisme – le vrai, en paroles et en actes – dépasse largement, de nos jours, dans l’indifférence totale, celui dénoncé à tort de façon tonitruante il y a quelques dizaines d’années par des gens qui, ironie du sort, sont pour la plupart les vrais antisémites actuels.

    « droit au logement »

    Nous avons tous ce droit, que nous soyons locataires ou propriétaires, mais il n’est écrit nulle part que ce logement doive être gratuit ou bien encore que l’on ait le droit d’en chasser les occupants légitimes pour s’y installer à leur place et à leurs frais.

  3. @ Jérôme le 23 septembre 2025

    Bonjour Jérôme,
    Vos remarques sont très pertinentes, alors j’explique :
    Dans un monde parfait du point de vue du droit et de la loi, l’État de droit serait effectivement celui qui fait en sorte que la loi soit appliquée indifféremment à tous.
    La loi, toute la loi, rien que la loi et seulement la loi.

    Et c’est là que tout se gâte dans la nouvelle version de ce l’on appelle actuellement l’État de droit.
    Il ne s’agit plus d’appliquer toute la loi, etc. mais de l’appliquer suivant des principes philosophiques, plus ou moins fumeux, comme tout principe philosophique qui se respecte dès lors qu’il quitte le monde des idées pour entrer dans le monde concret des faits.

    La loi dans ce nouvel État de droit doit être appliquée suivant les principes énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme, oubliant au passage, comme je l’ai dit, ceux du citoyen.
    Droits de l’homme revus et augmentés de valeurs dites européennes ou républicaines que l’on ne définit jamais, ce qui permet de leur faire dire ce que l’on veut, dans le cadre de l’idéologie mondialiste.

    Concrètement cela veut dire que le citoyen n’a aucun droit de plus que l’immigré illégal, les deux sont considérés au même niveau, ce qui veut dire que le franchissement illégal de frontière n’est plus un délit.

    C’est tout simplement la négation du concept de nation qui implique une unité de population vivant sur une unité de territoire.
    C’est la mondialisation poussée à son ultime désastre, oubliant que les hommes sont différents et qu’étant différents, les sociétés qu’ils peuvent former sont différentes.
    L’absurde est de considérer que si l’humain est l’égal d’un autre humain, la société formée de certains humains ne peut se fondre dans une autre société formée d’autres humains, sous peine de disparaître.

    On en est au point même qu’il est considéré comme normal, du point de vue de l’État de droit new look, que les immigrés illégaux, c’est à dire clandestins, revendiquent des droits que les citoyens légaux ont non seulement le devoir de respecter mais l’obligation de leur fournir : droit au logement, à la santé, au confort matériel et éventuellement sexuel, le tout au nom de l’indifférenciation individuelle que prône le nouvel État de droit.

    Et même pire, la clandestinité est considérée comme normale chez les intrus, alors que si vous refusez de montrer vos papiers lors d’un simple contrôle de police, vous êtes sanctionné. Combien d’illégaux sont sanctionnés pour défaut de papiers ? Et je parle là de délits mineurs. Le squat est considéré presque comme normal, comme une solution aux problèmes de logement. Voir ce qui se passe par exemple à Paris à la Gaîté lyrique.

    Bon, je m’en tiendrai là, mais vous avez compris que l’État de droit est à l’opposé de ce qu’il serait souhaitable qu’il soit… de mon point de vue !

  4. « J’ose espérer que la profession de magistrat reste encore celle qui se flatte de fonder ses pratiques sur l’observation de la loi, mais à vrai dire je n’en suis même pas sûr. » (PB)

    Les magistrats actuels seraient plutôt disposés à l’interpréter à leur convenance, quant au Conseil constitutionnel, il passe son temps à la retoquer pour interdire au Peuple souverain de s’exprimer.

  5. Michel Deluré

    @ Xavier NEBOUT 23/09/25

    Juste une question : vous citez l’exemple du maire de X qui limite la vitesse à 20 km/h et nous précisez que vous, « le voyou », ne la respectez pas parce que cette loi n’est pas, à vos yeux, respectable. Imaginons que ce même maire ait décidé de cette limitation suite à l’accident d’un enfant renversé et désormais handicapé à vie. Considéreriez-vous alors toujours cette loi comme non respectable ? La respectabilité d’une loi ne se définit-elle que par rapport aux seuls critères qui sont les vôtres ? Et si une loi est mauvaise, ce qui arrive, la meilleure solution, plutôt que de la transgresser, n’est-elle pas encore de la changer ?

  6. « Pardon, mais… »
    Mais qu’est-ce donc que cette expression qui fait florès sur CNews ou ailleurs ? On s’excuse d’avance, on s’aplatit, on tend sa croupe : « Je parle sous le contrôle de Monsieur X ». 
    Comment ça ? Vous n’êtes pas fichus de parler par vous-mêmes ?
    Houellebecq prépare un chef-d’œuvre…

  7. « le respect de la loi parce qu’elle est la loi »

    La loi interdit de choisir les locataires et les cautions en fonction de leur nationalité, et nous, les voyous de la République, comme on ne veut pas que les propriétaires qui nous font confiance aient à engager un procès à l’autre bout de la planète pour récupérer leur dû, on viole la loi.

    La loi protège si bien les locataires âgés, au frais du propriétaire, qu’il ne peut pas leur donner congé, même s’il veut prendre sa retraite dans la maison de son enfance. Alors, nous, les voyous de la République, on viole la loi.

    Le maire de Sadirac, une petite commune de l’Entre-deux-Mers, a mis des panneaux « stop » qui ne servent qu’à pourrir la vie ; alors moi, je suis parmi les voyous de la République qui les brûlent sans vergogne.
    Le maire de Fargues-Saint-Hilaire a mis des limitations de vitesse à 20 km heure pour bichonner ses électeurs, comme le font tous les élus pourris qui mettent des ralentisseurs partout pour que tout le monde achète des SUV ; et moi, le voyou de la République, je ne les respecte pas et j’ai un gros 4×4 confortable et increvable qui emm* les écolos.
    Moi, le voyou, je ne respecte pas la loi quand elle n’est pas respectable.

    1. hameau dans les nuages

      Bien évidemment. Au même titre que trop d’impôts tue l’impôt, trop de lois tue la loi. Nonobstant le fait que ce sont toujours les mêmes qui sont corvéables à merci alors qu’ils connaissent ceux qui à répétition font un pied de nez à la loi. Mais il est bien plus facile et sans risque d’aller chercher le citoyen ordinaire. Bientôt on reviendra à l’impôt « portes et fenêtres », tant et si bien qu’on en occultera certaines pour en faire des chambres noires. Ne riez pas, j’ai déjà eu un élu qui, dans ma cour, me demandait ce qu’il y avait derrière ce pan de mur sans fenêtre. Il va falloir chez soi jouer à Escape Game vu l’augmentation de la taxe foncière pour les propriétaires, donc capitalistes. Le même qui dépensait un pognon de dingue pour mettre des panneaux au bord d’un ruisseau indiquant aux touristes qu’il y passait des saumons ! Sur la tête de ma pauvre mère, le ruisseau passant dans mes champs, je n’ai jamais vu l’ombre d’un saumon… Mais vous comprenez, le robinet à subventions pour certaines associations permet de jouer « panier garni » au moment des élections… Arrive aussi le moment des aigris jaloux, piliers de bar, qui vous demandent : « Comment vous avez eu tout ça ? »

      En vérité je vous le dis, on va vivre une époque authentiquement formidable..

  8. « La loi vécue comme un repoussoir aujourd’hui, par des personnalités dont la qualité républicaine devrait être indiscutable – et d’abord par le respect de la loi parce qu’elle est la loi » (PB)

    Cela vient de ce qu’il existe une scission entre les tenants de l’État de droit et ceux de la loi !
    L’État de droit versus la loi, voilà le dilemme !

    L’État de droit est le pire ennemi de la loi, et il n’y a aucune contradiction à critiquer l’État de droit pour défendre la loi et… l’ordre.

    La loi et l’ordre, l’une ne va pas sans l’autre, et c’est en cela que l’État de droit est le meilleur ou le pire ennemi de la loi.
    Loi et État de droit ont des objectifs différents pour ne pas dire carrément opposés.

    La loi a pour finalité l’ordre pour rendre la vie en société aussi paisible, aussi confortable que possible, en prévenant par ses impératifs les conflits ou la violence de certains pour faire prévaloir leurs intérêts, et tout ce qui pourrait perturber la sérénité de la société. D’où la formule classique : « Force doit rester à la loi ».

    La Finalité de l’État de droit est tout autre, puisque celui-ci est devenu une idéologie et, pour certains, une religion où l’individu prime sur la société.
    Primauté de l’Un sur le Tout au nom de textes considérés comme sacrés, les nouveaux évangiles condensés dans les Droits de l’homme, oubliant au passage les droits du citoyen.

    Oubli volontaire car les droits du citoyen s’accompagnent tout naturellement de devoirs, puisque le citoyen fait partie d’une nation qui le dépasse, au point de devoir donner sa vie pour la sauver.

    L’État de droit est la légalisation la plus forte jamais observée dans une société de l’individualisme et son corollaire l’égoïsme, et ce au détriment du collectif.

    Tout individu peut contester une loi au motif de son inconstitutionnalité, puisque le préambule de la Constitution, rassemblant les droits de l’homme, fait autorité.
    Le subterfuge relève de la supercherie la plus perverse, puisqu’il s’agit de nier les droits d’une société à établir des règles de bon fonctionnement au nom, précisément, d’une philosophie, car c’est bien de cela qu’il s’agit : de l’individu.

    En se présentant comme le défenseur de l’individu, qui serait premier face à la société, l’État de droit est un superbe oxymore, car cet État de droit ne peut exister sans une société qu’il parasite.

    Je ne vois d’issue simple à cet oxymore, sinon le passage par un État fort qui oublierait les droits individuels, par un effet de pendule revenant à l’autre position extrême.
    Ce qui serait tout aussi déplorable que la situation actuelle.

    1. Bonjour cher Tipaza,

      Ce que vous soulignez est un peu ce qui m’échappe dans la critique que vous faites de l’État de droit. Vous dites qu’il est devenu une idéologie. C’est très bien non ? Le principe qui dit que la loi est applicable pour tous est sain, c’est ça l’État de droit non ?
      Que la loi, ce qui compose l’État de droit, soit mal faite, on peut le considérer.
      Par exemple ce que vous soulignez, un citoyen peut interpeller le Conseil constitutionnel s’il considère que la loi n’est pas bonne, peut être revu, et une fois révisée, la loi s’appliquera. Je vous avoue que la critique du principe d’État de droit m’échappe. Pour moi, mais peut-être me trompé-je, c’est une assurance, ça devrait être une assurance, contre l’arbitraire.
      Bonne journée.

  9. Patrice Charoulet

    Cher Philippe Bilger,

    Je me targue de respecter toutes les lois que je connais. Je ne tue pas, je ne viole pas, je ne vole pas, je ne frappe personne, je ne conduis pas ivre, je ne dépasse pas les vitesses autorisées…
    Non juriste, j’ai cru comprendre qu’il y a un million de lois et que nul en France ne connaît toutes les lois qu’on trouve dans les différents codes. Le premier devoir d’un gouvernement avisé n’est pas d’ajouter de nouvelles lois, mais d’en réduire considérablement le nombre. Ce n’est pas demain la veille.
    Une chose m’a toujours surpris : aucun commissariat de police ne permet à qui le demande de consulter sur place un Code pénal. Et tout le monde n’a pas la bonne idée de consulter Légifrance, en cas de besoin.

    1. « Non juriste, j’ai cru comprendre qu’il y a un million de lois et que nul en France ne connaît toutes les lois qu’on trouve dans les différents codes. Le premier devoir d’un gouvernement avisé n’est pas d’ajouter de nouvelles lois, mais d’en réduire considérablement le nombre. Ce n’est pas demain la veille. »

      Cher Patrice, pour une fois je suis en plein accord avec vous.
      Comment peut-on aussi nous imposer encore la maxime : « Nul n’est censé ignorer la loi » alors que c’est matériellement impossible, ce qui est d’ailleurs souvent aussi démontré chez les magistrats dont elle est pourtant le cœur de métier ?

      « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » (Montesquieu)

  10. Michel Deluré

    L’histoire de la loi, de sa naissance en Grèce jusqu’à nos jours, a connu bien des vicissitudes. Triomphante chez nous au siècle des Lumières (cf. notamment Montesquieu, Rousseau), elle connaît apparemment un déclin depuis le XXe siècle, à la limite parfois d’en exercer un effet repoussoir.

    On peut trouver, me semble-t-il, une explication à ce navrant déclin dans le fait que la loi a progressivement perdu son caractère de permanence et de généralité. Les lois se sont en fait multipliées en même temps qu’elles ont gagné en instabilité pour s’accorder aux humeurs du moment et sont devenues toujours plus détaillées, plus complexes. Peu à peu, la loi protectrice est ainsi devenue la loi qui entrave.

    Ajoutons à cela la perte d’autorité du pouvoir qui, disposant de cet outil indispensable à la vie en société et à la préservation de nos libertés qu’est la loi, se montre hélas trop souvent incapable de l’utiliser correctement.

    Trop de lois nuit en fait à la loi.

  11. Pardon. Juste un mot.
    Il est mort, le Rouge. On l’appelait ainsi pour ses cheveux et son teint.
    Il a tout refusé, même les aides de ses proches, sauf les boîtes de bière ou les biscuits qu’on lui apportait à la sortie du supermarché. Son délabrement peinait, il n’emportait pas le rejet. C’était le Rouge, pour moi c’était C…M…. et il aimait que je l’appelle par son nom.
    L’hôpital n’en a pas voulu, sans doute pour de bonnes raisons. Alors il est mort, seul, dans un foyer, parce que sa copine ne l’a pas retrouvé. En dehors de toute autre loi que naturelle, féroce et instinctive.
    A Dieu le Rouge, Monsieur C.M., vous avez vécu comme vous avez pu. Il me semble qu’on vous aimait bien.

  12. Le droit est parfois, d’évidence, injuste. Un politicien qui commet une faute, inscrite à son casier, pourra se présenter à n’importe quelle élection pour peu qu’aucune peine d’inéligibilité n’ait été prononcée. Un citoyen commettant la même faute ne pourra jamais être fonctionnaire pour des raisons liées à une infraction inscrite à son casier. C’est surréaliste. En gros, un politicien, député par exemple, peut enfreindre benoîtement les lois qu’il vote, voire dont il est à l’initiative, sans que cela ne l’empêche d’exercer cette fonction. Je trouve risible l’argument qui consiste à dire qu’une peine purgée ne doit pas empêcher d’exercer son métier. Politicien n’est pas un métier. Ces derniers, s’ils sont condamnés, devraient être interdits à vie de toutes fonctions politiques, les Cahuzac, Carignon… qui ont le toupet de se représenter et qui, stupéfaction, obtiennent les voix de neuneus qui continuent à voter pour eux. Mais c’est la loi. Si on la trouve injuste, il faut la changer, pas l’outrepasser.

    J’avais souligné à notre ami Jean sans terre que l’État de droit, c’est tout autre chose. Ce serait par exemple, en tant que citoyen, de commettre la même faute et que l’un se voie interdire de représentation politique et l’autre non, sous des prétextes tenant au fait du prince. Ce que dit Retailleau, qui ne me semble pas être quelqu’un de respectable de ce point de vue.

    Je vous rappelle que vous-même défendiez, et défendez toujours, la possibilité de ne pas respecter l’État de droit, ce qui conduit inévitablement au totalitarisme. Le fait du prince.

    Je constate que dans ce billet, vous défendez l’idée de respecter la loi. À la bonne heure. Pour les malfaisants, c’est bien normal, mais pour tout le monde, c’est encore mieux.

    Il y a certainement trop de complexité dans l’expression de la loi, permettant des interprétations très, trop différentes en fonction de l’idéologie, du tempérament de celui qui juge. Il est nécessaire de simplifier la loi. Pour autant, simplifier ne veut pas dire appliquer sans jugement. Je l’ai déjà écrit, mais il est bon de le rappeler, pourquoi pas des peines planchers pour certains actes, qui ne donneront aucune possibilité lors d’un jugement de déroger au minimum dicté par la loi. Mais, j’ai bien écrit, lors d’un jugement, il n’est pas question qu’une peine plancher s’applique sans que les actes commis n’aient été prouvés, sinon c’est l’arbitraire.

    Je n’ai pas d’idée arrêtée sur le fait que l’on pavoise n’importe quel drapeau au fronton des mairies. Mais là, également, je dois dire qu’il me semble étrange que ce soit une décision administrative. Le fait du prince. Celui-là on ne dit rien, Ukraine, Israël… cet autre on l’interdit. Au prétexte du trouble à l’ordre public. À ce petit jeu, on va interdire, par exemple, toute réforme, ça met les gens dans la rue, ça génère des grèves, bref, ça trouble l’ordre public. Si le motif est bien celui-là, il faut également interdire les déplacements d’Emmanuel « Kadyrov » Macron. Il y en a même qui ont l’idée de lui coller des tartes.

    Il faut revoir, je l’ai déjà écrit, la notion de légitime défense, pour que les policiers ne soient pas contraints de se laisser taper au prétexte que les racailles qui les agressent ne seraient pas armées, et pour qu’ils puissent faire usage de leurs armes quand leur vie est en danger, ce qui est le cas lors d’un tabassage en règle comme on l’a vu.

    La loi, Lodi le souligne très justement, contraint, et heureusement puisque c’est le but. Par définition, le délinquant s’affranchit de cette contrainte. Il est nécessaire que la loi, alors, soit suffisamment claire et applicable pour le remettre d’équerre. Encore faut-il que l’on se donne les moyens de l’appliquer et que le champ d’interprétation ne soit pas tellement vaste que le malfaisant puisse finir par penser que ce qu’il fait est anodin. Même le citoyen lambda trouve toujours de quoi remettre en question la sanction. Les excès de vitesse en sont un bon exemple. Le pékin moyen va vous expliquer qu’un dépassement de 7 km/h n’est pas grave et que l’on ne devrait pas sanctionner pour ça, quid alors des limites, on les supprime, qu’un feu passé à l’orange, ben, c’est pas au rouge…

    Pour finir, la loi est un repoussoir parce qu’elle ne s’applique pas, ou si rarement aux puissants que le lambda en tire argument pour s’absoudre de tout. Un de vos blogueurs a pris l’exemple de Solère, il y en a tellement d’autres…

  13. Robert Marchenoir

    La loi n’a jamais été une référence en France. Une multitude de facteurs se combinent pour rendre ce mépris de la loi impossible à éradiquer, et ça ne s’arrange pas.

    La dernière décision catastrophique en la matière a été la question prioritaire de constitutionnalité. Le dernier clampin venu (à condition qu’il puisse se payer un avocat) peut prétendre que la loi qui s’applique à lui n’est pas conforme à la Constitution.

    Ben voyons, aurais-je envie de dire. Vu la façon dont les institutions d’arbitrage tripotent la Constitution dans tous les sens pour lui faire dire ce qui les arrange, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres. Le saccage législatif qui était auparavant réservé à quelques Importants devient accessible à n’importe qui.

    Si les « constitutionnalistes » les plus éminents de ce pays (défense de rire) ont été capables d’invoquer la « fraternité » de la devise nationale pour donner le feu vert à l’invasion de la France par des peuplades étrangères hostiles et inassimilables, imaginez à quoi peut conduire cette possibilité si 60 millions de personnes se mettent à l’invoquer pour défendre leurs intérêts particuliers.

    Mais ce n’est là qu’un détail de l’histoire de l’anti-libéralisme français.

    L’obstacle le plus formidable au respect de la loi réside dans les mentalités. Il est dans cette idée admise par tous, dirigeants comme gouvernés, « qu’on ne peut rien obtenir dans s’pays sans recourir à la force » : refus d’appliquer les règles, fraude ouverte comme les congés-maladie protestataires, manifestations, grèves, blocages, jacqueries, saccages les plus divers, presque toujours impunis parce que sinon ce serait un affront envers les « valeurs républicaines ».

    Comme s’il allait de soi qu’on doive « obtenir » des trucs, et que ces trucs doivent être fournis par l’État. Non seulement personne ne s’avise que c’est à lui de produire ces trucs pour pouvoir en bénéficier, mais en plus lorsque maman-État n’aboule pas la marchandise assez vite, il faut la rouer de coups pour qu’elle comprenne – elle, et toutes les personnes alentour par la même occasion.

    Les politiciens et les intellectuels qui se prétendent les plus ardents défenseurs de l’ordre ne manquent jamais de se récrier que la grève et les manifestations sont un droit absolu, en fait une preuve de vertu, une illustration de la moralité supérieure du peuple français.

    Il faut aller en Argentine pour voir un président libéral réprimer impitoyablement les manifestations bloquantes qui ont trop longtemps servi de moyen de chantage.

    Personne, absolument personne, ne remet en cause le droit de grève.

    Personne ne s’attaque aux lobbys de tout poil, à commencer par les plus ridiculement populaires comme les agriculteurs. Personne ne fait saisir les tracteurs qui entravent régulièrement le fonctionnement du pays – au passage, on se demande avec quel argent des milliers de « paysans » suant la misère et gagnant 300 euros par mois payent le gas-oil pour faire 500 kilomètres en tracteur sur l’autoroute afin de « bloquer Paris ».

    N’oublions pas que le président le plus populaire de l’histoire de France est un homme que les Britanniques et les Américains soupçonnaient à bon droit de fascisme, quelqu’un qui n’est jamais arrivé au pouvoir que par la force : en 1944, dans les wagons de l’armée alliée ; en 1958, à la faveur d’un coup d’État militaire encouragé par lui en sous-main et auquel il a prétendu parer.

    À peine le grand homme nous a-t-il fait cadeau de la fameuse « Constitution de la Ve République » dont il rêvait depuis la Libération, qu’il s’est empressé de la violer lui-même en instaurant sa propre élection au suffrage universel. Mais lui, il avait le droit, puisque c’était un fasciste le Roy de Frônce ressuscité.

    N’oublions pas que le socialisme et le communisme ont été inventés en France. À la Révolution, référence explicite des Bolcheviques. Par les socialistes utopiques, au XIXe siècle. Par Marx, qui a élaboré sa doctrine en Allemagne, en France et en Angleterre.

    Aujourd’hui encore, un intellectuel qui fait figure de référence, de « résistant », de parangon de la liberté comme Michel Onfray, se réclame sans honte du socialisme utopique de ces années-là. Et il n’y a pas un seul contradicteur pour le lui enfoncer dans la gorge, pour lui demander des comptes à ce sujet.

    Bah non, Proudhon, c’est smart, c’est snob, c’est l’étalon d’une moralité politique supérieure.

    À côté de ce permafrost anti-libéral séculaire, l’illettrisme croissant des Français, dirigeants compris, fait figure de note de bas de page. Pourtant, il verrouille très efficacement l’ensemble.

    Lorsque la loi ne veut plus rien dire, lorsqu’elle est écrite avec les pieds, lorsqu’il est impossible de tirer une signification simple, claire et dépourvue d’ambiguïté de textes interminables devenus des cancers lexicaux et grammaticaux, alors son autorité disparaît et n’importe qui peut la tripatouiller dans le sens qui l’arrange : ça ne se verra même pas.

    Et ça, c’est avant de considérer l’irruption de populations étrangères qui s’emploient à violer nos lois par obligation doctrinale religieuse comme par pure hostilité, jalousie et désir de vengeance – sans parler des moeurs anti-démocratiques de leurs pays d’origine, de la triche généralisée qui y règne, de la primauté de la ruse et de la force sur la règle dans les moindres détails de la vie quotidienne.

  14. « Ce mouvement va de plus en plus s’étendre (…).La loi ne protège plus l’individu, elle l’entrave ». (PB)

    Il faudrait leur expliquer que c’est justement parce que la loi entrave qu’elle protège. Elle oblige – ou devrait obliger – ceux qui sont incapables de se restreindre à ne pas dépasser certaines limites sans lesquelles les sociétés s’effondrent.
    À charge tout de même pour ceux qui font les lois de ne pas en rajouter, surtout d’inutiles, de contradictoires, alambiquées ou injustes. Selon Spinoza, trop de lois rendent les hommes « méchants ».

  15. C’est John F. Kennedy qui disait :
    « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. »

    En fait la loi, notamment en France, est surtout un moyen pour les citoyens de revendiquer leurs droits, plutôt que de protéger la France des « honnêtes gens » (pour utiliser l’expression de Bruno Retailleau).

    La dernière série de policiers lynchés par des racailles (à Tourcoing, à Reims) démontre que la loi est très clémente avec les délinquants, qui éprouvent un sentiment d’impunité vu qu’ils sont relâchés après quelques heures de garde à vue et un simple rappel à l’ordre donné par un juge bienveillant.
    Il ne faut donc pas s’étonner que le RN et Reconquête! grimpent dans les sondages, d’autant que CNews et Europe 1 font leurs titres sur ce genre d’agressions sauvages.

    Pourtant, ainsi que ne cesse de nous le dire notre hôte, nous avons un excellent tandem régalien avec Gérald Darmanin à la Justice et Bruno Retailleau à l’Intérieur.
    Alors qu’est-ce qui ne va pas dans le système ? Sans doute faut-il revoir certains textes du Code pénal ou du Code de procédure pénale, qui ne sont plus du tout adaptés à la situation sécuritaire de notre pays.

  16. D’abord, tout est prétexte à discorde chez nous, et ça ne date pas d’hier, voir la Querelle des Bouffons. Mon avis sur la question : la musique française, et notamment la musique baroque, est sous-estimée : si, en France, on se vante de tyrans type Napoléon, on ne se flatte pas de nos Rameau, Charpentier et compagnie ! Dommage.
    Ensuite, depuis longtemps on mésestime le droit. Même celui qui est pour bien des gens la figure du Commandeur en donne le déplorable exemple : le Général. Sa Constitution n’organise pas l’équilibre des pouvoirs mais la domination de l’Exécutif. Et d’une. Ensuite, il y a les pouvoirs exceptionnels : tentation permanente de transgresser la loi par ceux qui devraient la garantir, en imitant le dictateur de la Rome antique. Sauf que ! D’abord, les Romains étaient, de base, plus vertueux que nous. Ensuite, cette vertu a fini par céder sous César, donc pour chacun, et notamment pour nous, il ne faut rien faire qui la fragilise. Cependant prenons les choses avec humour :

    https://www.youtube.com/watch?v=Gyv3b2sSKfM

    Et rappelons Offenbach.

    Oui, la musique française est sous-estimée. La politique ? Très surestimée. Notre propension à donner des leçons à tout le monde aussi – exemple, le conflit israélo-palestinien – très surestimée. Nous, faire mieux que les Norvégiens ? Par des déclarations ? N’importe quoi. Eux tentaient de rapprocher les parties en secret, sans donner de leçons. Ce qui est la moindre des choses, vu que nos ancêtres ont fait partie des persécuteurs des Juifs, puis de ceux qui ont favorisé leur installation au détriment des Arabes. Nous ne sommes pas les mieux placés pour juger les uns et les autres. À notre époque de blabla universel, il est peut-être requis de condamner les pires atrocités et d’inciter au dialogue, mais rien de plus, rien de trop.

    Notre politique très surestimée, donc, prend en plus la place du droit. Trop de lois et de débats autour de la loi tuent la loi. Oui, il est normal que les bandits en tirent argument. Ils pourraient dire que ce n’est pas aux marginaux de donner l’exemple de l’intégration, par la loi ou par autre chose, d’ailleurs ! C’est la logique même. Un pas de plus par rapport à ce qu’ils disent, celui de la déduction : sont-ils trop bêtes pour y penser, ou trop avisés pour risquer d’aller trop loin ?

    La France n’a jamais respecté le droit, il y a des périodes où elle a fait semblant, où elle parlait de Montesquieu et de la division des pouvoirs… Erreur, erreur, il faut dire équilibre des pouvoirs ! Il doit y en avoir plusieurs, pas forcément si divisés que ça dans le conflit, mais équilibrés, pour que le pouvoir équilibre le pouvoir.

    Dans notre Constitution, en cas de majorité présidentielle, le Parlement est décoratif. Le législatif ? une autorité, un rien du tout, un gueux, qui actuellement prend sa revanche en s’inventant des lois suprêmes (bloc de constitutionnalité), ou en suivant les injonctions de l’Union européenne, de toute façon en symbiose avec ses aspirations. La contre-attaque de ceux à qui on n’a pas donné leur juste part est de prendre plus que la leur. C’est si humain que je ne ferais pas la morale pour si peu. Je demande seulement que tout le système soit remis sur pied – ce qui n’est pas une mince affaire, je le sais. En attendant, les politiques sont obligés de bricoler, ce qui ne peut que risquer que se traduire soit en impuissance, soit en arbitraire.

    Évidemment, les bandits peuvent en tirer avantage… En fait, ils peuvent même être de bonne foi, qu’on leur reproche leur boiterie quand le pouvoir est boiteux est une injustice. C’est au centre et au sommet de donner l’exemple, pas à la base ni à la marge. Enfin, comme certains en viennent à rivaliser avec l’État, qu’ils en tirent les conséquences et tendent à limiter leur violence, à assumer un rôle d’apaisement comme tentent de le faire certains, vu que commerce, pouvoir et stabilité vont ensemble. Pour les meilleurs, noblesse oblige, n’est-il pas ?

  17. Marc Ghinsberg

    Vous critiquez régulièrement l’État de droit tel qu’il existe aujourd’hui dans notre pays. Pourtant, vous déplorez que la loi soit perçue comme un repoussoir. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

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